Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LES NOVVELLES

maiſtre. Elle luy reſpondit touſiours, qu’il viendroit aſſez toſt. Et quand il fut minuict, enuoya ſecrettement de ſes ſeruiteurs querir le ieune homme, qui ne ſe doubtant du mal qu’on luy preparoit, ſ’en alla hardimẽt en la maiſon dudict ſainct Aignan : auq̃l lieu la damoiſelle entretenoit ſon ſeruiteur, de ſorte qu’il n’en auoit qu’vn auec luy. Et quãd il fut à l’ẽtrée de la maiſon, le ſeruiteur qui le menoit, luy diſt que la damoiſelle vouloit bien parler à luy auant ſon mary, & qu’elle l’attendoit en vne chambre, ou il n’y auoit que l’vn de ſes ſeruiteurs auec elle, & qu’il ſeroit biẽ de renuoyer l’autre par la porte de deuãt. Ce qu’il feit. Et en montant vn petit degré obſcur, le procureur de ſainct Aignan, qui auoit mis des gens en embuſche dedans vne garderobbe, commença à ouyr le bruit, & en demandant qu’eſtce, luy fut dict, que c’eſtoit vn homme qui vouloit ſecrettement entrer en ſa maiſon. A l’heure vn nommé Thomas Guerin, qui faiſoit meſtier d’eſtre meurtrier, & qui pour faire ceſte execution eſtoir loüé du procureur, vint dõner tant de coups d’eſpée à ce pauure ieune hõme, que quelque defence qu’il peut faire, ne ſe peut garder qu’il ne tombaſt mort entre leurs mains. Le ſeruiteur qui parloit à la damoiſelle, luy diſt : i’ay ouy mon maiſtre qui parle en ce degré, ie m’en vois à luy. La damoiſelle le retint, & luy diſt : Ne vous ſouciez, il viendra aſſez toſt. Et peu apres oyant que ſon maiſtre diſoit : ie me meurs, ie recõmande à Dieu mon eſprit, il le voulut aller ſecourir : mais elle le retint, luy diſant ne vous ſouciez, mon mary l’a chaſtié de ſes ieuneſſes, allons voir que c’eſt. Et en s’appuiant ſur le bout du degré, demanda à ſon mary, Et puis, eſt-ce faict ? lequel luy diſt : venez y voir. A ceſte heure vous ai-ie vẽgée de celuy qui vous a tant faict de honte. Et en diſant cela donna d’vn poignart qu’il auoit dix ou douze coups dedans le ventre de celuy, que viuant il n’euſt oſé aſſaillir. Apres que l’homicide fut faict, & que les deux ſeruiteurs du treſpaſsé ſ’en furent fuiz pour en dire les nouuelles au pauure pere, penſant ledict ſainct Aignan que la choſe ne pouuoit eſtre tenuë ſecrette, regarda que les ſeruiteurs du mort ne debuoient point eſtre creuz en teſmoignage, & que perſonne en ſa maiſon n’auoit veu le faict, finõ les meurtriers, vne vieille chãbriere & vne ieune fille de quinze ans. Par quoy voulut ſecrettement prendre la vieille : mais elle trouuva

façon