Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/337

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
160
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

qu’il n’auoit ſceu eſtre par medecine ne ſaignée qu’il ſceuſt prẽdre, luy manda qu’il n’y auroit point de faulte, qu’il ne ſe trouuaſt à lheure qu’elle luy mandoit, & qu’elle auoit faict vn miracle euident : car par vne ſeule parole, elle auoit guary vn homme d’vne maladie, ou tous les medecins ne pouuoient trouuer remede. Le ſoir venu, qu’il auoit tant deſiré, s’en alla le gentil-homme au lieu, qui luy auoit eſté ordonné auec vn ſi extreme contentement, qu’il falloit que bien toſt il print fin, ne pouuant augmenter & ne dura gueres apres qu’il fut arriué, que celle qu’il aimoit plus que ſon ame le vint trouuer. Il ne s’amuſa pas à luy faire grande harãgue : car le feu, qui le bruſloit, luy faiſoit haſtiuement pourchaſſer ce qu’à peine pouuoit il croire auoir en ſa puiſſance : & plus yüre d’amour & de plaiſir qu’il ne luy eſtoit beſoing, cuidant chercher par vn coſté le remede de ſa vie, ſe donnoit par vn autre l’aduancement de ſa mort. Car ayant pour s’amie mis en oubly ſoy-meſme, ne s’apperceut de ſon bras, qui ſe desbanda, & la playe nouuelle, qui ſe print à s’ouurir, rendit tant de ſang, que le pauure gentil-homme en eſtoit tout baigné. Mais eſtimant que ſa laſſeté venoit à cauſe de ſes excés, cuida retourner en ſon logis. Lors amour, qui les auoit trop vniz enſemble, feit en ſorte qu’en departant d’auec s’amie ſon ame departit d’auec luy, & par la grande effuſion de ſang qu’il auoit perdu, tomba tout mort aux pieds de s’amie, qui demeura hors de ſoy-meſme par eſtonnement, en conſiderant la perte qu’elle auoit faicte d’vn ſi parfaict amy, de la mort duquel elle eſtoit la ſeule cauſe. Regardant d’autre coſté auec le regret la hõte en laquelle elle demeureroit, ſi on trouuoit ce corps mort en ſa maiſon, à fin de faire ignorer la choſe, elle & vne de ſes chambrieres, en qui elle ſe fioit, porterent le corps mort dedans la ruë, ou elle ne le voulut laiſſer ſeul mais en prenant l’eſpée du treſpaſſé, ſe voulut ioindre à ſa fortune : & en puniſſant ſon cueur cauſe de tout le mal, ſe la paſſa tout au trauers, & tomba ſon corps mort ſur celuy de ſon amy. Le pere & la mere de ceſte fille, en ſortãt au matin de leur maiſon, trouuerent ce piteux ſpectacle. Et apres en auoir faict tel dueil que le cas meritoit, les enterrerent tous deux enſemble.

Ainſi voit on, mes dames, qu’vne extremité d’amour amene vn autre malheur. Voila qui me plaiſt bien, diſt Simontault,