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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Dieu, ſe rend pareille à celuy auecques lequel elle eſt ioincte. Car puis que ceux, qui adherẽt à Dieu, ont ſon eſprit auecques eux, auſsi ſont ceux qui adherent à ſon contraire : & n’eſt rien ſi beſtial, que la perſonne deſtituée de l’eſprit de Dieu. Quoy qu’ait faict ceſte pauure dame, diſt Emarſuitte, ſi ne ſçaurois-ie louër ceux qui ſe vantent de leur priſon. I’ay opinion, diſt Longarine, que la peine n’eſt moindre à vn homme de celer ſa bonne fortune, que de la pourchaſſer. Car il n’y a veneur, qui ne prenne plaiſir à corner ſa prinſe, ny amoureux d’auoir la gloire de ſa victoire. Voila vne opinion, diſt Simontault, que deuant tous les inquiſiteurs de la foy, ie ſouſtiendray heretique : car il y a plus d’hommes ſecrets, que de femmes. Et ſçay bien, que lon en trouueroit, qui aimeroient mieux n’en auoir bonne chere, s’il falloit que creature viuante l’entendiſt. Partant l’egliſe, comme bonne mere, a ordonné les preſtres cõfeſſeurs, & non pas les femmes, parce qu’elles ne peuuent rien celer. Ce n’eſt pas pour ceſte occaſion, diſt Oiſille, mais c’eſt pource que les femmes ſont tant ennemies du vice, qu’elles ne donneroient pas ſi facilement abſolution que les hommes, & ſeroient trop auſteres en leurs penitences. Si elles l’eſtoient autant, diſt Dagoucin, qu’elles ſont en leurs reſponſes, elles feroient plus deſeſperer de pecheurs, qu’elles n’en attireroient à ſalut. Parquoy l’egliſe en toutes ſortes y a bien pourueu. Mais ſi ne veux ie pas pour cela excuſer les gentils-hommes, qui ſe vanterent ainſi de leur priſon : car iamais homme n’eut honneur de dire mal des femmes. Puis que le faict eſtoit commun, diſt Hircan, il me ſemble qu’ils faiſoient bien de ſe conſoler les vns aux autres. Mais, diſt Guebron, ils ne le deuoient iamais confeſſer, pour leur hõneur meſme. Car les liures de la table ronde nous apprennent que ce n’eſt point honneur à vn cheualier, d’en abbattre vn qui ne vault rien. Ie m’esbahis, diſt Longarine, que ceſte pauure femme ne mouroit de honte deuant ſes priſonniers. Celles, qui l’ont perduë, diſt Oiſille, à grand peine la peuuent elles iamais recouurer, ſinon celles que forte amour a faict oublier, & de telles en ay veu beaucoup reuenir. Ie croy, diſt Hircan, que vous en auez veu reuenir celles, qui y ſont allées. Car forte amour en vne femme, eſt fort malaisée à trouuer. Ie ne ſuis pas de voſtre opinion, diſt Longarine : car ie ſçay qu’il y

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