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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

d’vne deeſſe. Nous ne ferons point ainſi, diſt Aſtillon, nous auons aſſez de moyens pour nous vẽger d’elle, ſans appeller noſtre maiſtre. Trouuons nous demain quand elle ira à la meſſe, & que chacun de nous porte vne chaine de fer au col : & quand elle entrera en l’egliſe, nous la ſalurons, comme il appartient. Ce conſeil fut trouué fort bon de toute la compagnie, & feirẽt prouiſion chacun d’vne chaine de fer. Le matin venu tous habillez de noir, leurs chaines de fer tournées à l’entour de leur col, en façon de collier, vindrent trouuer la comteſſe, qui alloit à l’egliſe. Et ſi toſt qu’elle les veid ainſi habillez, ſe print à rire, & leur diſt : Ou vont ces gens ſi douloureux ? Ma dame, diſt Aſtillon, nous vous venons accompagner, comme pauures eſclaues priſonniers, qui ſommes tenuz à vous faire ſeruice. La comteſſe, faiſant ſemblant de n’y entendre rien, leur diſt : Vous n’eſtes point mes priſonniers, & n’entends point que vous ayez occaſion de me faire ſeruice plus que les autres. Valnebon s’aduança, & luy diſt : Si nous auons mangé voſtre pain ſi longuement, nous ſerions bien ingrats, ſi nous ne vous faiſions ſeruice. Elle feit ſi bonne mine feignant de n’y rien entendre, qu’elle cuidoit par ceſte feinte les eſtonner : mais ils pourſuiuirent ſi bien leur proces, qu’elle entendit que la choſe eſtoit deſcouuerte. Parquoy trouua incontinent moyen de les tromper : car elle, qui auoit perdu l’honneur & la conſcience, ne voulut point receuoir la honte qu’ils luy cuidoient faire : mais comme celle qui preferoit ſon plaiſir à tout l’honneur du monde, ne leur en feit pire viſage, n’y n’en changea de contenance, dont ils furent tant eſtonnez, qu’ils rapporterent en leur fin la honte, quils luy auoient voulu faire.

Si vous ne trouuez, mes dames, ceſte hiſtoire digne de faire cognoiſtre les femmes auſsi mauuaiſes que les hommes, i’en chercheray d’autres pour vous compter. Toutesfois il me ſemble que ceſte cy ſuffiſt pour vous monſtrer, qu’vne femme qui a perdu la honte, eſt cent fois plus hardie à faire mal, que n’eſt vn homme. Il n’y eut femme en la compagnie oyãt racompter ceſte hiſtoire, qui ne feiſt tant de ſignes de croix, qu’il ſembloit qu’elles voyoient tous les ennemis d’enfer deuant leurs yeux. Mais Oiſille leur diſt : Mes dames, humilions nous quand nous oyons ceſt horrible cas, d’autant que la perſonne delaiſſée de

Dieu,