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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

fortune, nous aurons occaſion d’en rire. Mais pour ſçauoir ſi ce que ie penſe eſt vray, ie vous prie que ie vous interrogue, & que vous tous me confeſsiez la verité : car s’il eſt aduenu ainſi de nous, comme ie penſe, ce ſeroit vne aduenture auſsi plaiſante, que lon en ſçauroit trouuer en nul lieu. Ils iurerent tous de dire verité, s’il eſtoit ainſi qu’ils ne la peuſſent denier. Il leur diſt : Ie vous diray ma fortune, & vous me reſpondrez ouy ou nenny, ſi la voſtre eſt pareille. Ils s’y accorderent tous, & à l’heure il diſt : Premierement ie demanday congé au Roy d’aller en quelque voyage. Et ils reſpondirent : & nous auſsi. Quand ie fus à deux lieuës de la court, ie laiſſay mon train, & m’en allay rendre priſonnier. Ils reſpondirent : nous en feiſmes autant. Ie demeuray, diſt Aſtillon, ſept ou huict iours caché en vne garderobbe, ou lon ne m’a faict manger que reſtaurans, & les meilleures viãdes, que ie mãgeay iamais. Et au bout des huict iours, ceux qui me tenoient me laiſſerent aller beaucoup plus foible, que ie n’eſtois arriué. Ils iurerent que ainſi leur eſtoit aduenu. Ma priſon, diſt Aſtillon, commença à finir tel iour. La mienne, diſt Duracier, commença le propre iour que la voſtre finit, & dura iuſques à vn tel iour. Valnebon, qui perdoit patience, commença à iurer & dire : Par le ſang bieu, à ce que ie voy, ie ſuis le tiers, qui penſois eſtre le premier & ſeul : car i’entray & en ſailly tel iour. Les autres trois, qui eſtoient à table, iurerent qu’ils auoient bien gardé ce rang. Or puis qu’ainſi eſt, diſt Aſtillon, ie diray l’eſtat de noſtre geoliere. Elle eſt mariée, & ſon mary eſt bien loing. C’eſt ceſte lá propre, reſpondirent ils tous. Or pour nous mettre hors de peine, diſt Aſtillon, moy, qui ſuis le premier enroollé, la nommeray le premier. C’eſt ma dame la Comteſſe, qui eſtoit ſi audacieuſe, qu’en gaignant ſon amitié, ie pẽſois auoir vaincu Ceſar. Qu’à tous les diables ſoit la vilaine, qui nous a faict tant trauailler, & nous reputer ſi heureux de l’auoir acquiſe. Il ne fut onc vne telle meſchante : car quand elle en tenoit vn en cage, elle praticquoit l’autre pour n’eſtre iamais ſans paſſetemps : ſi aimerois-ie mieux eſtre mort, qu’elle demeuraſt ſans punition. Ils demanderent à Aſtillon qu’il luy ſembloit quelle punition elle deuoit auoir, & qu’ils eſtoient tous preſts à la luy donner. Il me ſemble, diſt il, que nous le deuons dire au Roy, noſtre maiſtre, lequel en faict vn cas comme

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