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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ie ne me puis contenter de ce que me l’auez tant celé. Car i’ay touſiours pensé, qu’il n’y euſt entre voſtre cueur & le mien vn ſeul moyen ny obſtacle : mais à mon treſgrand regret, & ſans qu’il y ait de ma faulte, ie voy le contraire, par ce que non ſeulement vous eſtes bien fort ialoux de voſtre femme & de moy, mais le me voulez couurir, à fin que voſtre maladie dure ſi longuement, qu’elle tourne du tout en haine : & ainſi que l’amour a eſté la plus grande que lon ait veuë de noſtre temps, l’inimitié ſoit la plus mortelle. I’ay faict ce que j’ay peu pour euiter ceſt inconuenient, mais puis que vous me ſoupçonnez ſi meſchant, & le contraire de ce que ie vous ay touſiours eſté, ie vous iure & promects ma foy, que ie ſuis tel que vous m’eſtimez, & ne ceſſeray iamais iuſques à ce que i’aye eu de voſtre femme ce que cuidez que i’en pourchaſſe : & doreſenauant gardez vous de moy. Car puis que le ſoupçon vous a ſeparé de mon amitié, le deſpit me ſeparera de la voſtre. Et cõbien que ſon cõpagnon luy vouluſt faire croire le contraire, ſi eſt-ce qu’il n’en creut pas rien, & retira ſa part des meubles & biens, qui eſtoient en commun, & furent auecques leurs cueurs auſsi ſeparez, qu’ils auoient eſté vniz : en ſorte que le gentil-homme, qui n’eſtoit point marié, ne ceſſa iamais qu’il n’euſt faict ſon compagnon coqu, comme il luy auoit promis.

Ainſi en puiſſe il prendre, mes dames, à ceux qui à tort ſoupçonnent mal de leurs femmes. Car pluſieurs ſont cauſe de les faire telles, qu’ils les ſoupçonnent : pource qu’vne femme de bien eſt pluſtoſt vaincuë par vn deſeſpoir, que par tous les plaiſirs du monde. Et qui dict que le ſoupçon eſt amour, ie luy nie : car combien qu’il en ſorte, comme la cendre du feu, ainſi le tue il. Ie ne penſe point, diſt Hircan, qu’il ſoit vn plus grand deſplaiſir à homme ou à femme, que d’eſtre ſoupçonné du contraire de la verité. Et quant à moy, il n’y a choſe, qui tant me feiſt rompre la compagnie de mes amis, que ce ſoupçon lá. Si n’eſt-ce pas excuſe raiſonnable, diſt Oiſille, à vne femme, de ſe venger du ſoupçon de ſon mary à la honte de ſoy-meſme. C’eſt faict comme celuy, qui ne pouuant tuer ſon ennemy, ſe donne vn coup d’eſpée au trauers du corps, ou ne le pouuant eſgratigner, ſe mord les doigts. Mais elle euſt faict plus ſagement de ne parler iamais à luy, pour monſtrer le tort à ſon mary qu’il

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