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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

meſchante garſe. Le tapiſsier apres auoir faict tous ſes beaux ieux, regarda à l’entour de luy ſi perſonne ne l’auoit veu, & aduiſa ſa voiſine à la feneſtre, dont il fut fort marry : mais luy qui ſçauoit donner couleur à toute tapiſſerie, penſa ſi bien colorer ce faict, que ſa commere ſeroit auſsi bien trompée que ſa femme : & ſi toſt qu’il fut recouché feit leuer du lict ſa femme en chemiſe, & la mena au iardin ou il auoit mené ſa chambriere, & ſe ioua long temps auec elle de la neige, comme il auoit faict auec l’autre, & puis luy bailla des innocens ainſi qu’à ſa chambriere : & apres s’en allerent tous deux coucher. Quand ceſte bonne femme alla à la meſſe, ſa voiſine & bonne amie ne faillit de s’y trouuer, & du grand zele, qu’elle auoit, luy pria, ſans luy en vouloir dire d’auantage, qu’elle vouluſt chaſſer ſa chambriere, & que c’eſtoit vne tres-mauuaiſe & dangereuſe garſe. Ce qu’elle ne voulut faire, ſans ſçauoir pourquoy ſa voiſine l’auoit en ſi mauuaiſe eſtime : qui à la fin luy compta comme elle l’auoit veuẽ au matin en ſon iardin auec ſon mary. La bonne femme ſe print bien fort à rire, en luy diſant : Helas ! ma commere m’amie, c’eſtoit moy. Comment, ma commere ? diſt l’autre, elle eſtoit toute en chemiſe au matin enuiron les cinq heures. La bonne femme luy reſpondit : Par ma foy, ma commere, c’eſtoit moy. L’autre continuant ſon propos : Ils ſe bailloient, diſt elle, de la neige l’vn à l’autre, puis aux tetins, puis en autre lieu, auſsi priuéement qu’il eſtoit poſsible. La bonne femme luy diſt : He, he, ma commere, c’eſtoit moy. Voire, ma commere ! ce diſt l’autre : mais ie les ay veuz ſur la neige faire telle choſe & telle, qui me ſemble n’eſtre belle ny honneſte. Ma commere, diſt l’autre, ie le vous ay dict, & le dy encores, que c’eſtoit moy, & non autre, qui ay faict tout ce que vous me dictes : mais mon mary & moy ioüions ainſi priuéement. Ie vous prie ne vous en ſcandaliſez point : car vous ſçauez que nous deuons complaire à noz mariz. Ainſi s’en retourna la commere plus deſirante d’auoir vn tel mary, qu’elle n’eſtoit à venir demander celuy de ſa bonne commere. Et quand le tapiſsier fut retourné, ſa femme luy feit le compte tout au long de ſa commere. Or regardez, m’amye (reſpondit le tapiſsier) ſi vous n’eſtiez femme de bien & de bon entendement, long temps a que nous fuſsions

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