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LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

faire donner commiſſion à ſon mari, à fin de pouuoir voir à ſon aiſe le fils du lieutenant de la ville. Ceſte façon de faire dura ſi long temps, qu’elle auoit pour ſon profit le prelat, & pour ſon plaiſir ledict fils du lieutenant, auquel elle iuroit que toute la bonne chere qu’elle faiſoit au prelat, n’eſtoit que pour continuer la leur plus librement : Et que quelque choſe qu’il y euſt, ce dict prelat n’en auoit eu que la parolle, & qu’il pouuoit eſtre aſſeuré que iamais homme que luy, n’en auroit autre choſe. Vn iour que ſon mary s’en eſtoit allé deuers ce prelat, elle luy demanda congé d’aller aux champs, diſant que l’air de la ville luy eſtoit trop contraire. Et quand elle fut en ſa metairie, eſcriuit incontinent au fils du lieutenant, qu’il ne failliſt à la venir trouuer enuirõ dix heures du ſoir. Ce que feit le pauure ieune homme, mais à l’entrée de la porte trouua la chambriere, qui auoit accouſtumé de le faire entrer, laquelle luy diſt : mon amy, allez ailleurs, car voſtre place eſt prinſe. Et luy penſant que le mary fuſt venu, luy demanda comme tout alloit. La pauure femme ayant pitie de luy, le voyant tant beau ieune & honneſte homme, d’aimer ſi fort, & eſtre ſi peu aimé, luy declara la follie de ſa maiſtreſſe, penſant que quand il entendroit cela, il ſe chaſtiroit de l’aymer tant. Et luy compta comme le prelat n’y faiſoit que d’arriuer & eſtoit couché auec elle : choſe à quoy elle ne s’atendoit pas, car il n’y deuoit venir que le lendemain. Mais ayãt retenu chez luy ſon mary, s’eſtoit deſrobbé de nuict pour la venir voir ſecrettement. Qui fut bien deſeſperé, ce fut le fils du lieutenant, qui encores ne la pouuoit du tout croire. Et ſe cacha en vne maiſon aupres, & veilla iuſques à trois heures apres minuict, tant qu’il veit faillir le prelat dehors, non ſi bien deſguisé, qu’il ne le cogneuſt plus qu’il ne vouloit. Et en ce deſeſpoir s’en retourna à Alençon, ou bien toſt apres ſa meſchante amie alla, qui le cuidant abuſer comme elle auoit accouſtumé, vint parler à luy. Mais il luy diſt qu’elle eſtoit trop ſaincte, ayãt touché aux choſes ſacrées, pour parler à vn pecheur cõme luy, duquel la repentance eſtoit ſi grande, qu’il eſperoit bien toſt que le peché luy ſeroit pardonné. Quãd elle entendit que ſon cas eſtoit deſcouuert, & que excuſe, iurement, & promeſſe de plus n’y retourner n’y ſeruoient de rien, elle en feit la plainte à ſon prelat. Et apres auoit bien conſulté la matiere, vint ceſte

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