Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

de bailler la cotte verte à ſ’amye, luy bailla la cotte rouge, en ſorte que la couleur luy en vint au viſage, pour ſ’eſtre trouuée ſurprinſe vn peu pluſtoſt qu’elle ne penſoit. Si eurent ils ſi habilement cueilly leurs prunes, pource qu’elles eſtoient meures, que Oliuier meſme ne le pouuoit croire, n’euſt eſté qu’il veid la fille tirant la veuë contre bas, & monſtrant viſage honteux : qui luy donna marque de la verité, pource que au parauant elle alloit la teſte leuée, ſans craindre qu’on veiſt en l’œil la veine, qui doibt eſtre rouge, auoit pris couleur azurée : dequoy Iacques ſ’aperceuant la remit en ſon naturel, par remonſtrances à ce neceſſaires. Toutesfois, en faiſant encor deux ou trois tours de iardin, ce ne fut point ſans larmes, & ſouſpirs, & ſans dire maintesfois : Helas ! eſtoit-ce pour cela que vous m’aimiez ? Si ie l’euſſe penſé ! Mon Dieu, que feray-ie ? me voila perdue pour toute ma vie. En quelle eſtime m’aurez vous d’oreſenauant ? Ie me tiens aſſeurée, que vous ne tiendrez plus compte de moy, au moins ſi vous eſtes du nombre de ceux, qui n’aiment que pour leur plaiſir. Helas ! que ne ſuis-ie pluſtoſt morte, que de tomber en ceſte faute ? Ce n’eſtoit pas ſans verſer force larmes, qu’elle tenoit ce propos : mais Iacques la reconforta ſi bien auec tant de promeſſes & ſermens, que auant qu’ils euſſent parfourny trois autres tours de iardin, & qu’il euſt faict le ſigne à ſon compaignon, ils rentrerent encores au preau, par vn autre chemin, ou elle ne ſceut ſi bien faire, qu’elle ne receuſt plus de plaiſir à la ſeconde cotte verte, que à la premiere : voire, & ſi ſ’en trouua ſi bien des l’heure, qu’ils prindrent deliberation, pour auiſer comment ils ſe pourroient reueoir plus ſouuent, & plus à leur aiſe, en attendant le bon loiſir du pere : A quoy leur aida grandement vne ieune femme, voiſine du ſire Pierre, qui eſtoit aucunement parente du ieune homme, & bien amye de Françoiſe. En quoy ils ont continué, ſans ſcandale (à ce que ie puis entendre) iuſques à la conſommation du mariage, qui ſ’eſt trouué bien riche, pour vne fille de marchand : car elle eſtoit ſeule. Vray eſt, que Iacques a attendu le meilleur du temporel, iuſques au decés du pere, qui eſtoit ſi ſerrant, qu’il luy ſembloit, que ce, qu’il tenoit en vne main, l’autre luy deſrobboit.

Voila, mes dames, vne amitié bien commencée, bien con-

P