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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

jours, qu’elle auoit deliberé d’y faire vn voyage : & que ſi le prochain dimanche enſuyuant il faiſoit beau, elle pourroit bien y aller, qui ne ſeroit ſans paſſer par le logis de la damoiſelle, & la reuiſiter. Ceſte concluſion prinſe, auſsi feit elle du marché des draps de ſoye : car il ne failloit pas, pour quelque peu d’argent, laiſſer fuyr ſi belle occaſion. Le complot prins, & la marchandiſe emportée, Iacques, cognoiſſant ne pouuoir bien luy ſeul faire vne telle entreprinſe, fut contrainct ſe declarer à vn ſien fidele amy. Si ſe conſeillerent ſi bien enſemble, qu’il ne reſtoit que l’execution. Parquoy le dimanche venu, la marchande & ſa fille ne faillirent, au retour de leurs deuotions, de paſſer par le logis de la damoiſelle vefue, ou elles la trouuerent auec vne ſienne voiſine, deuiſans en vne gallerie de jardin, & la fille de la vefue, qui ſe promenoit par les allées du iardin auec Iacques & Oliuier. Luy, auſsi toſt qu’il veid ſ’amye, ſe forma en ſorte, qu’il ne changea nullement de contenance. Si alla en ce bon viſage, receuoir la mere & la fille : & comme c’eſt l’ordinaire, que les vieux cherchent les vieux, ces trois dames ſ’aſſeirent ſur vn banc, qui leur faiſoit tourner le dos vers le iardin : dans lequel peu à peu les deux amans entrerent, ſe promenans iuſques a lieu ou eſtoient les deux autres : & ainſi de compaignie ſ’entrecareſſerent quelque peu, puis ſe remirent au promenoir : ou le ieune homme compta ſi bien ſon piteux cas à Françoiſe, qu’elle ne pouuoit accorder, & ſi n’oſoit refuſer ce que ſon amy demandoit, tellement qu’il cogneut qu’elle eſtoit bien fort aux alteres. Mais il fault entendre que, pendant, qu’ils tenoient ces propos, ils paſſoient & repaſſoient ſouuent au long de l’abry, ou eſtoient aſsiſes les bonnes femmes, à fin de leur oſter tour ſoupçon : parlans toutesfois de propos vulgaires & familiers, & quelquesfois vn peu rageans folaſtrement parmy le iardin. Et y furent ces bonnes femmes ſi accouſtumées par l’eſpace d’vne demie heure, que à la fin Iacques feit le ſigne à Oliuier, qui ioua ſon perſonnage enuers l’autre fille qu’il tenoit, en ſorte qu’elle ne ſ’apperceut point, que les deux amans entrerent dans vn preau couuert de ceriſaye, & bien cloz de hayes de roſiers, & de groiſeliers fort haults : lá ou ils feirent ſemblant d’aller abattre des amendes, à vn coing du préau, mais ce fut pour abattre prunes. Auſsi Iacques, au lieu

de bailler