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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſtoit plus, que d’aduiſer ou ils ſe forniroient. Mais la mere diſt : Ie ſuis d’aduis, Iacques, d’aller chez le compere ſire Pierre (c’eſtoit le pere de Françoiſe) il eſt de noz amis : il ne nous voudroit pas tromper. Sa mere le chatouïlloit bien, ou il ſe demangeoit : Neantmoins il tint bon, diſant : Nous en prendrons lá ou nous trouuerons noſtre meilleur, & à meilleur marché. Toutesfois, (diſt-il) à cauſe de la cognoiſſance de feu mon pere, ie ſuis bien content, que nous y allions, premier qu’ailleurs. Ainſi fut prins le complot, pour vn matin, que la mere & le fils allerent veoir le ſire Pierre, qui les recueillit fort bien, comme vous ſçauez, que les marchans ne manquent point de telles drogues. Si feirent deſployer grandes quantitez de draps de ſoye, de toutes ſortes, & choiſyrent ce qui leur en failloit : Mais ils ne peurent tõber d’accord : ce que Iacques faiſoit à propos, pource qu’il ne voyoit point la mere de ſ’amye : & ſalut, à la fin, qu’ils ſ’en allaſſent, ſans rien faire, veoir ailleurs quel il y faiſoit, Mais Iacques n’y trouuoit rien ſi beau, que chez ſ’amye : ou ils retournerent quelque temps apres. Lors ſ’y trouua la dame, qui leur feit le meilleur recueil du monde : & apres les menées qui ſe font en telles boutiques, la femme du ſire Pierre tenant encor plus roide que ſon mary, Iacques luy diſt : Et dea, ma dame, vous eſtes bien rigoureuſe. Voila que c’eſt : Nous auons perdu noſtre pere : on ne nous cognoiſt plus. Et feit ſemblant de pleurer, & de ſ’eſſuyer les yeux, pour la ſouuenance paternelle : mais c’eſtoit à fin de faire ſa menée. La bonne femme vefue, mere de Iacques, y allant à la bonne foy, diſt auſsi : Depuis ſa mort nous ne nous ſommes non plus frequentez, que ſi iamais ne nous fuſſions veuz. Voila le compte que lon tient des pauures femmes vefues. Alors ſe racointerent elles de nouuelles careſſes, ſe promettans de ſe reuiſiter plus ſouuent que jamais. Et comme ils eſtoient en ces termes, vindrent d’autres marchans, que le maiſtre mena luy meſme en ſon arriere boutique. Et le ieune homme, voyant ſon apoinct, diſt à ſa mere : Mais, ma damoiſelle, i’ay veu, que ma dame venoit bien ſouuent, les feſtes viſiter les ſaincts lieux, qui ſont en noz quartiers, & principalement les religions. Si quelquesfois elle daignoit en paſſant prendre ſon vin, elle nous feroit plaiſir & honneur. La marchande, qui n’y penſoit en nul mal, luy reſpondit, qu’il y auoit plus de quinze