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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

uoit eſté fort ſollicitée d’ailleurs, tant à cauſe de ſa beauté, que de ſon bon eſprit : & auſsi qu’elle eſtoit, long temps y auoit, mariable : combien que le pere ne s’en miſt pas fort en ſon deuoir, fuſt ou pour ſon auarice, ou pour trop grãd deſir de la bien colloquer, comme fille vnique. Ce qui ne faiſoit rien à l’honneur de la fille : pource que les perſonnes de maintenant ſe ſcandaliſent beaucoup pluſtoſt, que l’occaſion ne leur en eſt donnée, & principalement quand c’eſt en quelque point, qui touche la pudicité de belle fille, ou femme. Cela fut cauſe, que le pere ne feit point le ſourd ny l’aueugle au vulgaire caquet, & ne voulut reſſembler beaucoup d’autres, qui, au lieu de cenſurer les vices, ſemblent y prouoquer leurs femmes & enfans : Car il la tenoit de ſi court, que ceux meſmes, qui n’y tendoient que ſous voile de mariage, n’auoient point ce moyen de la veoir que bien peu, encores eſtoit-ce touſiours auecques ſa mere. Il ne fault pas demander, ſi cela fut fort aigre à ſupporter à Iacques, ne pouuant reſoudre en ſon entendement, que telle auſterité ſe gardaſt, ſans quelque grande occaſion, tellement qu’il vacilloit fort entre amour & ialouſie. Si eſt-ce qu’il ſe reſolut d’en auoir la raiſon, à quelque peril que ce fuſt : mais premieremẽt, pour cognoiſtre ſi elle eſtoit encores de meſmes affection, que auparauant, il alla tant & vint, qu’vn matin à l’egliſe oyant la meſſe aſſez pres d’elle, il apperceut à ſa contenance, qu’elle n’eſtoit moins aiſe de le veoir, que luy elle : auſsi luy cognoiſſant la mere n’eſtre ſi ſeuere que le pere, print quelque fois, comme inopinement la hardieſſe en les voyant aller de leur logis iuſques à l’egliſe, de les acoſter auecques vne familiere & vulgaire reuerence, & ſans ſe trop aduantager : le tout expreſſement, & à fin de mieux paruenir à ſes attentes. Bref en approchant le bout de l’an de ſon pere, il ſe delibera au changement du dueil de ſe mettre ſur le bon bout, & faire honneur à ſes anceſtres, & en tint propos à ſa mere, qui le trouua bon, deſirant fort de le veoir bien marié : pource qu’elle n’auoit pour tous enfans, que luy, & vne fille ia mariée bien & honneſtement. Et de faict, comme damoiſelle d’honneur, qu’elle eſtoit, luy pouſſoit encor le cueur à la vertu, par infinité d’exemples d’autres ieunes gens de ſon aage, qui s’aduançoient d’eux mesmes, au moins, qui ſe monſtroient dignes du lieu d’ou ils eſtoient deſcenduz. Ne re-

ſtoit