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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

s’aduança pour l’entretenir, & feignãt ne l’auoir point veuë ailleurs, luy diſt : Ma damoiſelle il y a long temps, que ie porte vne affection ſur mon cueur, laquelle, de peur de vous deſplaire, ne vous ay osé reueler, dõt ie ſuis ſi mal, que ie ne puis plus porter ceſte peine ſans mourir : car ie ne croy pas que iamais homme vous ſceuſt tant aimer, que ie fais. La damoiſelle Camille ne le laiſſa pas acheuer ſon propos, mais luy diſt auec vne treſgrande colere. Auez vous iamais ouy dire, que i’aye eu amy ne ſeruiteur ? ie ſuis ſeure que non. Et m’esbahis dont vous vient ceſte hardieſſe de tenir tels propos à vne ſi femme de bien que moy. Car vous m’auez aſſez hãtée ceans, pour cognoiſtre que iamais n’aimay autre que mon mary. Et pource gardez vous de continuer ces propos. Le gentil-homme voyant vne ſi grãde fiction, ne ſe peut tenir de rire, & lui dire : Ma damoiſelle, vous ne m’eſtes pas touſiours ſi rigoureuſe que maintenant. Dequoy vous ſert il d’vſer enuers moy de telle diſsimulation ? ne vault il pas mieux auoir vne amitié parfaicte, que imparfaicte ? Camille luy reſpondit : Ie n’ay en vous amitié parfaicte ne imparfaicte, ſinon comme aux autres ſeruiteurs de ma maiſtreſſe : mais ſi vous cõtinuez les propos que me tenez, ie pourray bien auoir telle haine qu’elle vous cuira. Le gentil-homme pourſuyuit encore ſon propos, & luy diſt : Et ou eſt la bõne chere, que vous me faictes, quãd ie ne vous puis veoir ? Pourquoy m’en priuez vous maintenant que le iour me mõtre voſtre beauté accompagnée d’vne ſi parfaicte & bonne grace ? Camille faiſant vn grand ſigne de la croix, luy diſt : Vous auez perdu voſtre entendement, ou vous eſtes le plus grand menteur du monde : car iamais en ma vie ne penſay vous auoir faict meilleure chere ne pire, que ie vous fais, & vous prie me dire comment vous l’entendez. Alors le pauure gẽtil-homme penſant la gaigner d’auantage, luy alla compter le lieu ou il l’auoit veuë, & la marque de la croie qu’il luy auoit faicte pour la cognoiſtre : dõt elle fut ſi outrée de colere, qu’elle luy diſt, qu’il eſtoit le plus meſchãt hõme du mõde, & qu’il auoit cõtrouué contre elle vne menſonge ſi vilaine, qu’elle le mettroit peine de l’en faire repentir. Luy, qui ſçauoit le credit qu’elle auoit enuers ſa maiſtreſſe, la voulut appaiſer : mais il ne luy fut poſsible. Car en le laiſſant lá, furieuſemẽt s’en alla ou eſtoit ſa maiſtreſſe, laquelle laiſſa toute la compagnie pour venir

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