Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.
145
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

parler à luy en la gallerie du iardin de ceans. Et ainſi que le page y alla, elle paſſa par la garderobbe de la chambre de ſa maiſtreſſe, & s’en alla en ceſte gallerie, ayant miſe ſa cornette baſſe, & ſon touret de nez. Quand le gentilhomme fut arriué ou elle eſtoit, elle va incontinent fermer les deux portes par leſquelles lon pouuoit venir ſur eux, & ſans oſter ſon touret de nez, en l’embraſſant bien fort luy va dire le plus bas qu’il luy fut poſsible : Il y a long temps, mon amy, que l’amour que ie vous porte m’a faict deſirer trouuer le lieu & occaſion de vous pouuoir veoir, mais la crainte de mon honneur a eſté pour vn temps ſi forte, qu’elle m’a contrainte malgré ma volonté diſsimuler ceſte paſsion. Mais à la fin la force d’amour a vaincu la crainte, & pour la cognoiſſance que i’ay de voſtre honneſteté, ſi me voulez promettre de m’aimer, & de iamais n’en parler à perſonne, & ne vous enquerir qui ie ſuis, de moy ie vous aſſeure bien, que vous ſeray loyale & bonne amie, & que iamais n’aymeray autre que vous : mais i’aimerois mieux mourir, que vous ſceuſſiez qui ie ſuis. Le gẽtil-hõme luy promiſt ce qu’elle demandoit, qui la rẽdit facile à luy rendre la pareille : c’eſt, de ne luy refuſer choſe qu’il vouluſt prendre. L’heure eſtoit de cinq ou ſix heures en hyuer, qui entieremẽt luy oſtoit la veuë d’elle. Et en touchãt ſes habillemens trouua qu’ils eſtoient de veloux, qui en ce tẽps lá ne ſe portoiẽt à tous les iours, ſinon par les femmes de bonnes maiſons, & d’authorité. En touchant ce qui eſtoit deſſous, autant qu’il en pouuoit prendre iugement par la main, ne trouua rien qui ne fuſt en tresbon eſtat, et, & en bõ point. S’il meit peine de luy faire la meilleure chere qu’il luy fut poſsible de ſon coſté, elle n’en feit moins du ſien, & cogneut bien le gẽtil-homme, qu’elle eſtoit mariée. Elle ſ’en voulut retourner incontinẽt, de lá ou elle eſtoit venuë, mais le gentil-homme luy diſt : I’eſtime beaucoup le biẽ, que ſans mon merite, vous m’auez donné : mais encor eſtimerai-ie plus celuy que i’auray de vous à ma requeſte. Ie me tiens ſi ſatisfaict d’vne telle grace, que ie vous ſupplie me dire, ſi ie ne doy plus eſperer de recouurer encor vn biẽ ſemblable, & en quelle ſorte il vous plaira que i’en vſe : car veu que ie ne vous puis cognoiſtre, ie ne ſçay commẽt le pourchaſſer. Ne vous ſouciez, diſt la damoiſelle, mais aſſeurez vous, que tous les ſoirs, auãt le ſoupper de ma maiſtreſſe, ie ne faudray de

O