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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

temps des hiſtoriographes : car ceux qui ont tant loüé leur Lucreſſe l’euſſent laiſſée au bout la plume, pour eſcrire bien au long les vertuz de ceſte cy : pource que ie les trouue ſi grandes, que ie ne les pourrois croire, ſans le grand ſerment que nous auons faict de dire verité. Ie ne trouue pas ſa vertu telle comme vous la peignez, diſt Hircan : car vous auez veu aſſez de malades deſgouſtez, delaiſſer les bõnes viandes & ſalutaires, pour manger les mauuaiſes & dommageables. Ainſi peult eſtre que ceſte fille aimoit quelque autre, qui luy faiſoit deſpriſer toute nobleſſe. Mais Parlamente reſpondit à ce mot, que la vie & la fin de ceſte fille monſtroient, que iamais n’auoit eu opinion à homme viuant, qu’à celuy qu’elle aimoit plus que ſa vie, mais non pas plus que ſon honneur. Oſtez ceſte opinion de voſtre fantaſie, diſt Saffredent, & entendez dont eſt venu ce terme d’honneur, quant aux femmes : Car peult eſtre que celles, qui en parlent tant, ne ſçauent pas l’inuention de ce nom. Sçachez qu’au cõmencement, que la malice n’eſtoit pas trop grande entre les hommes, l’amour y eſtoit ſi naïſue & forte, que diſsimulation n’y auoit point de lieu, & eſtoit plus loüé, celuy qui plus parfaictement aimoit. Mais quand la malice, l’auarice, & le peché vindrent ſaiſir le cueur des hommes, ils en chaſſerent dehors Dieu & l’amour, & en leur lieu prindrent l’amour d’eux meſmes, hypocriſie, & fiction. Et voyans les dames n’auoir en leur cueur ceſte vertu de vraye amour, & que ce nom d’hypocriſie eſtoit tant odieux entre les hommes, luy donnerent le ſurnom d’honneur : tellemẽt que celles, qui ne pouuoient auoir en elles ceſt honnorable amour, diſoient que l’honneur le leur defendoit : & en ont faict vne ſi cruelle loy, que meſmes celles, qui aiment parfaictement, diſsimulent, eſtimãs vertu eſtre vice. Mais celles qui ſont de bon entendement, & de ſain iugement, ne tombent iamais en telles erreurs : car elles cognoiſſent la difference des tenebres & de lumiere, & que leur vray honneur giſt à monſtrer la pudicité du cueur, qui ne doit viure que d’amour, & non point ſe honorer du vice de diſsimulation. Toutes fois, diſt Dagoucin, on dict qu’amour la plus ſecrette, eſt la plus louable. Ouy, ſecrette, diſt Simõtault, aux yeux de ceux qui en pourroient mal iuger : mais claire & cogneuë pour le moins aux deux perſonnages à qui elle touche. Ie l’entends ainſi, diſt

Dagou-