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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

vint à la menacer de l’authorité & puiſſance de ſon maiſtre. Mais elle en riant, luy diſt : Faictes peur de luy à celles qui ne le cognoiſſent point : car ie ſçay bien qu’il eſt ſi ſage & ſi vertueux, que tels propos ne viennent de luy : & ſuis ſeure qu’il vous deſaduouëra, quãd vous les luy cõpterez. Mais quand il ſeroit ainſi, que vous le dictes, il n’y a tourment ny mort, qui me ſceuſt faire changer d’opinion : car (comme ie vous ay dict) puis qu’amour n’a tourné mon cueur, tous les maux ne les biens, que lon ſçauroit donner à perſonne, ne me pourroient deſtourner d’vn pas des propos ou ie ſuis. Ce gentil-homme, qui auoit promis à ſon maiſtre de la luy gaigner, luy porta ceſte reſponſe auec vn merueilleux deſpit, & le perſuada à la pourſuiure par tous moyens poſsibles, luy diſant que ce n’eſtoit pas ſon honneur de n’auoir ſceu gaigner vne telle femme. Le ieune prince, qui ne vouloit point vſer d’autres moyens, que ceux, que l’honneſteté commande, craignant auſsi que s’il en eſtoit quelque bruit, & que la mere le ſceuſt, elle auroit occaſion de s’en courroucer bien fort, n’oſa rien entreprendre, iuſques à ce que ſon gẽtil-homme luy bailla vn moyen ſi aisé, qu’il penſoit deſ-ia la tenir, & pour l’executer parleroit au ſommelier : lequel deliberé de ſeruir ſon maiſtre en quelque façon que ce fuſt, pria vn iour ſa femme & ſa belle ſœur, d’aller viſiter leurs vendanges en vne maiſon qu’il auoit pres de la foreſt : ce qu’elles luy promirent. Quand le iour fut venu, le feit ſçauoir au ieune prince, lequel ſe delibera d’y aller tout ſeul auec ce gẽtil-homme, & feit tenir ſa mule ſecrettement pour partir, quand il en ſeroit heure. Mais Dieu voulut que ce iour lá ſa mere accouſtroit vn cabinet le plus beau du mõde, & pour luy aider auoit auec elle tous ſes enfans, & lá s’amuſa ce ieune prince iuſques à ce que l’heure promiſe fut paſſée. Si ne tint il à ſon ſommelier, lequel auoit mené ſa ſœur en ſa maiſon en crouppe derriere luy, & feit faire la malade à ſa femme, en ſorte qu’ainſi qu’il eſtoit à cheual luy vint dire qu’elle n’y ſçauroit aller : & quand il veit que l’heure tardoit, que le prince deuoit venir, diſt à ſa belle ſœur : Ie croy que nous en pouuons bien retourner en la ville. Qui nous en garde ? reſpondit Françoiſe. I’attendois monſieur, diſt le ſommelier, qui m’auoit promis de venir icy. Quand la ſœur entendit ceſte meſchãceté, luy diſt : Ne l’attendez plus, mon frere : car ie ſçay bien que pour au

iourd’huy