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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſes habillemens. Chacun preſentoit ſa maiſon, mais quelqu’vn diſt, que celle du ſommelier eſtoit la plus prochaine, & la plus honneſte : auſsi fut choiſie ſur toutes. Il trouua la chambre bien accouſtrée, & ſe deſpouïlla en chemiſe : car tous ſes habillemens eſtoient ſouïllez de la fange, & ſe meit dedans vn lict. Et quand il veid que chacun ſ’eſtoit retiré, pour aller querir ſes habillemens, excepté le gentil-homme, appella ſon hoſte & ſon hoſteſſe, & leur demanda ou eſtoit Françoiſe. Ils eurẽt bien affaire à la trouuer : car ſi toſt qu’elle auoit veu ce ieune Prince entrer en ſa maiſon, ſ’en eſtoit allée cacher, au plus ſecret lieu de la maiſon : toutesfois ſa ſœur la trouua, qui la pria ne craindre point de venir parler à vn ſi honneſte & vertueux prince. Comment ? ma ſœur, diſt Françoiſe, vous que ie tiens cõme ma mere, me vouldriez vous conſeiller d’aller parler à vn ieune ſeigneur, duquel vous ſçauez, que ie ne puis ignorer la volonté ? Mais ſa ſœur luy feit tant de remonſtrãces, & promeſſes de ne la laiſſer toute ſeule, qu’elle alla auec elle, portãt vn viſage ſi paſle & deffaict, qu’elle eſtoit plus pour engendrer pitié, que concupiſcence. Et quand le ieune Prince la veid pres de ſon lict, la print par la main, qu’elle auoit froide & tremblante, & luy diſt : Françoiſe, m’eſtimez vous ſi mauuais homme, ſi eſtrange & cruel, que ie mange les femmes, en les regardant ? Pourquoy auez vous pris vne ſi grande crainte de celuy, qui ne cherche que voſtre honneur & auantage ? Vous ſçauez qu’en tous lieux, qu’il m’a eſté poſsible, i’ay cherché de vous veoir, & parler à vous, ce que ie n’ay ſceu. Et pour me faire plus deſpit, auez fuy les lieux ou i’auois accouſtumé vous veoir à la meſſe, à fin que du tout ie n’euſſe non plus de contentement de la veuë, que i’auois de la parole : mais tout cela ne vous a de rien ſeruy : car ie n’ay ceſſé que ie ne ſois icy venu par les moyens que vous auez peu veoir : & me ſuis mis au hazard de me rompre le col, me laiſſant tomber volontairement, pour auoir le contentement de parler à vous à mon aiſe. Parquoy ie vous prie, Françoiſe, puis que i’ay acquis ce loiſir icy auec vn ſi grãd labeur, qu’il ne me ſoit point inutile, & que ie puiſſe par ma grande amour gaigner la voſtre. Et quand il eut long temps attendu ſa reſponſe, & veid qu’elle auoit les larmes aux yeux, & le regard contre terre, la tirant à luy le plus pres qu’il luy fut poſsible, la cuida embraſſer & bai-

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