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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

leté de la penitence. Si eſt-ce que le rire n’empeſcha point auſsi qu’elle ne le feit prendre & battre en ſa cuiſine, ou à force de verges il confeſſa la verité, & apres l’enuoya pieds & mains liez à ſon gardien, le priant qu’vne autre fois il baillaſt commiſsion à plus gens de bien de preſcher la parole de Dieu.

Regardez, mes dames, ſi en vne maiſon ſi honnorable que celle lá ils n’ont point eu de peur de declarer leur follie, qu’ils peuuent faire aux pauures lieux, ou ordinairemẽt ils vont faire leur queſtes, ou les occaſiõs leurs ſont preſentées ſi faciles, que c’eſt miracle, quand ils en eſchappent ſans ſcandale. Qui me faict vous prier, mes dames, de tourner voſtre mauuaiſe eſtime en compaſsion : & penſez que celuy, qui peut aueugler les cordeliers, n’eſpargne pas les dames, quand il les tient à propos. Vrayement, diſt Oiſille, voila vn bien meſchant cordelier, eſtre religieux, preſtre & predicateur, & vſer de telle vilennie au iour de Noël, & en l’egliſe, ſous le manteau de confeſsion, qui ſont toutes circonſtances, qui aggrauent le peché. Comment, diſt Hircan, penſez vous que les cordeliers ne ſoient pas hommes comme nous, & excuſables : & principalement ceſtuy-lá, ſe ſentant ſeul de nuict auec vne belle fille ? Vrayement, diſt Parlamente, s’il euſt penſé à la natiuité de Ieſus Chriſt, qui eſtoit repreſentée ce iour lá, il n’euſt pas eu la volonté ſi meſchante. Voire mais, diſt Saffredent vous ne dictes pas, qu’il tendoit à l’incarnation, auant que de venir à la natiuité. Toutes fois c’eſtoit vn homme plein de mauuais vouloir, veu que pour ſi peu d’occaſion il faiſoit vne ſi meſchante entreprinſe. Il me ſemble, diſt Oiſille, que la Comteſſe en feit ſi bonne punition, que ſes compagnons y pouuoient prendre exemple. Mais à ſçauoir, diſt Nomerfide, ſi elle feit bien de ſcandaliſer ainſi ſon prochain, & s’il euſt pas mieux valu, qu’elle luy euſt remonſtré ſes faultes doucement, que de les diuulguer. Ie croy, diſt Guebron, que c’euſt eſté bien faict : car il eſt commandé de corriger noſtre prochain, entre nous & luy, auant que le dire à perſonne, ne a l’egliſe. Auſsi depuis qu’vn homme eſt deshonté, à grand peine ſe peult il iamais amender : par ce que la honte retire autant de gens du peché, que la conſcience. Ie croy, diſt Parlamente, qu’enuers vn chacun, ſe doit vſer le conſeil de l’euangile, ſinon enuers ceux qui le preſchent,

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