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LA V. IOVRNEE DES NOVVELLES

createur, feit venir ſon confeſſeur : & apres s’eſtre confeſſée en vne chappelle biẽ fermée, à fin que la cõfeſsion fuſt plus ſecrette, laiſſa le lieu à ſa dame d’honneur : laquelle apres s’eſtre confeſſée, enuoya ſa fille paſſer par les mains de ſon bon cõfeſſeur. Et apres qu’elle eut dict tout ce qu’elle ſçauoit, cogneut le beaupere quelque choſe de ſon ſecret, qui luy donna enuie & hardieſſe de luy bailler vne penitẽce non accouſtumée, & luy diſt : Ma fille, voz pechez ſont ſi grands, que pour y ſatisfaire ie vous baille en penitence de porter ma corde ſur voſtre chair toute nuë. La fille, qui ne luy vouloit deſobeïr, luy diſt : Baillez la moy mõ pere, & ie ne faudray de la porter. Non, ma fille, diſt le beaupere, il ne ſeroit pas bon de voſtre main. Il fault que les miennes propres, deſquelles vous deuez auoir l’abſolution, la vous ayent premierement ceincte : puis apres vous ſerez abſoulte de tous voz pechez. La fille ſe prenãt à plorer, reſpond qu’elle n’en feroit rien. Comment ? diſt le preſcheur, eſtes vous vne hereticque, qui refuſez les penitences ſelon que Dieu & noſtre mere ſaincte egliſe l’ont ordonné ? I’vſe de la confeſsion (diſt la fille) comme l’egliſe l’a commandé, & veux bien receuoir l’abſolution, & faire la penitence : mais ie ne veux point que vous y mettiez les mains : car en ceſte ſorte ie refuſe voſtre penitence. Par ainſi, diſt le cõfeſſeur, ne vous puis-ie auſsi donner l’abſolution. La damoiſelle ſe leua de deuant luy, ayant la conſcience bien troublée : car elle eſtoit ſi ieune, qu’elle auoit peur de faillir par le reffus qu’elle auoit faict au beaupere. Quand ce vint apres la meſſe, que la Comteſſe d’Aiguemõt eut receu le corpus domini, ſa dame voulant aller apres, demanda à ſa fille, ſi elle eſtoit preſte. La fille en pleurant luy diſt, qu’elle n’eſtoit point confeſſée. Et qu’auez vous tant faict auec ce preſcheur ? diſt la mere. Rien, reſpondit la fille : car luy refuſant la penitence qu’il m’a baillée, m’a auſsi refuſé l’abſolution. La mere s’en enquiſt ſi ſagement, qu’elle cogneut l’eſtrange façon de penitence, que le beau-pere vouloit bailler à ſa fille : & apres l’auoir faicte confeſſer à vne autre, receurẽt toutes enſemble. Et ſi toſt que la Comteſſe fut retournée de l’egliſe, la dame d’hõneur luy feit la plaincte du preſcheur, dont elle fut bien marrie, & eſtonnée, veu la bonne opinion qu’elle auoit de luy. Mais ſon courroux ne la peult engarder, qu’elle n’euſt bien enuie de rire, veu la nouuel-

leté