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LA IIII. IOVRNEE DES NOVVELLES

Croyez, mes dames, qu’il y a bien peu de mariz, que patience & amour de la femme ne puiſſent gaigner à la longue, ou ils ſeront plus durs que pierres, que l’eau foible & molle par longueur de temps vient à cauer. Ce diſt Parlamente : Voyla vne femme ſans cueur, ſans fiel, & ſans foye. Que voulez vous ? diſt Longarine, elle experimentoit ce que Dieu commande, de faire bien à ceulx qui font mal. Ie penſe, diſt Hircan, qu’elle eſtoit amoureuſe de quelque cordelier, qui luy auoit donné en penitēce de faire ſi bien traicter ſon mary aux chãps, à fin que, ce pendant qu’il iroit, elle euſt loiſir de le bien traicter à la ville. Or ça, diſt Oiſille, vous monſtrez bien la malice de voſtre cueur, qui en bons actes faictes vn mauuais iugemēt. Ie croy pluſtoſt qu’elle eſtoit ſi mortifiée en l’amour de Dieu, qu’elle ne ſe ſoucioit plus que du ſalut de ſon mary. Il me ſemble, diſt Simõtault, qu’il auoit plus d’occaſion de retourner à ſa femme, quand il auoit froid en ſa meſtairie, que quand il eſtoit ſi bien traicté. A ce que ie voy, diſt Saffredent, vous n’eſtes pas de l’opinion d’vn riche homme de Paris, qui n’euſt ſceu laiſſer ſon accouſtrement, quãd il eſtoit couché auec ſa femme, qu’il n’euſt eſté morfondu. Mais quãd il alloit veoir ſa chambriere en la caue ſans bõnet, & ſans ſouliers au cueur de l’yuer, il ne ſ’en trouuoit iamais mal, & ſi eſtoit fort belle, & ſa chambriere bien laide. N’auez vous pas ouy dire, diſt Guebron, que Dieu aide touſiours aux fols, aux amoureux, & aux yurognes ? Peult eſtre que ceſtuy lá tout ſeul, eſtoit les trois enſemble. Par cela voulez vous cõclure, diſt Parlamente, que Dieu nuiſt aux chaſtes, aux ſages, & aux ſobres ? Ceux qui par eulx meſmes (diſt Guebron) ſe peuuent ayder, n’ont point beſoing d’aide. Car celuy qui a dit qu’il eſt venu pour les malades nõ point pour les ſains, eſt venu par la loy de ſa miſericorde ſecourir à noz infirmitez, rompãt les arreſts de la rigueur de ſa iuſtice : & qui ſe cuide ſage, eſt fol deuant Dieu. Mais pour finer noſtre ſermon, à qui donnera ſa voix Longarine ? Ie la dõne, diſt elle, à Saffredẽt. Ieſpere donc, diſt Saffredent, vous mõſtrer par exẽple, que Dieu ne fauoriſe pas aux amoureux. Car nonobſtant, mes dames, qu’il ait eſté dict par cy deuant, que le vice eſt cõmun aux femmes & aux hõmes, ſi eſt-ce que l’inuention d’vne fineſſe ſera trouuée plus promptement & ſubtilement d’vne femme que d’vn homme : & ie vous en diray vn exemple.

Bonne