Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/281

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Tours pour aller viſiter ſa meſtayere, ou il demeuroit touſiours deux ou trois iours. Et quand il retournoit à Tours, il eſtoit touſiours ſi morfondu, que la pauure femme auoit aſſez à faire à le guerir : & ſi toſt qu’il eſtoit ſain, ne failloit à retourner au lieu, ou pour le plaiſir oublioit tous ſes maux. Sa femme, qui ſur tout aymoit ſa vie & ſa ſanté, le voyant reuenir ordinairement en ſi mauuais eſtat, ſ’en alla en la meſtairie, ou elle trouua la ieune femme que ſon mary aymoit, à laquelle ſans colere mais d’vn treſgracieux viſage diſt, qu’elle ſçauoit bien que ſon mary la venoit veoir ſouuent : mais qu’elle eſtoit mal contente de ce qu’elle le traictoit ſi mal, qu’il ſ’en retournoit touſiours morfondu en la maiſon. La pauure femme, tant pour la reuerence de ſa dame, que pour la force de la verité, ne luy peut denier le faict, duquel luy requiſt pardon. La dame voulut veoir le lict & la chambre ou ſon mary couchoit, qu’elle trouua ſi froide, ſalle & mal en poinct, qu’elle en eut grande pitié. Parquoy incontinent enuoya querir vn bon lict garny de linceux, mante, & cõtrepoincte, ſelon que ſon mary l’aymoit, feit accouſtrer & tapiſſer la chambre, luy donna de la vaiſſelle hõneſte pour le ſeruir à boire & à manger, vne pipe de bon vin, des dragées, & des confitures : & pria la meſtayere qu’elle ne luy rẽuoyaft plus ſon mary ſi morfondu. Le mary ne tarda gueres qu’il ne retournaſt, cõme il auoit accouſtumé, veoir ſa meſtayere, & ſ’eſmerueilla fort de trouuer ce pauure logis ſi bien en ordre, & encores plus quand elle luy donna à boire dans vne coupe d’argent, & luy demanda d’ou eſtoient venuz tous ces biens. La pauure femme luy diſt en plorant, que c’eſtoit ſa femme qui auoit tant de pitié de ſon mauuais traictement, qu’elle auoit ainſi meublé ſa maiſon, & luy auoit recommandé ſa ſanté. Luy voyant la grãde bonté de ſa femme, & que pour tant de mauuais tours qu’il luy auoit faicts, luy rendoit tant de biens, eſtimant ſa faulte auſsi grande, que l’honneſte tour que ſa femme luy auoit faict, apres auoir donné argent à ſa meſtayere, la priant pour l’auenir vouloir viure en femme de bien, ſ’en retourna à ſa femme, à laquelle il confeſſa la debte, & que ſans le moyen de ceſte grande doulceur & bonté, il eſtoit impoſsible qu’il euſt iamais laiſsé la vie qu’il menoit. Et depuis veſquirent en bonne paix, laiſſans entierement la vie paſsée.