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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

depuis ceſte heure lá, veſquirent enſemble en ſi grande amitié, que meſmes les faultes paſſées, par le bien qui en eſtoit venu, leur eſtoient augmentation de contentement.

Ie vous ſupplie, mes dames, ſi Dieu vous donne de tels mariz, que vous ne vous deſeſperez point, iuſques à ce que vous ayez longuement eſſayé tous les moyens pour les reduire : car il y a vingtquatre heures au iour, eſquelles l’homme peut changer d’opinion : & vne femme ſe doit tenir plus heureuſe d’auoir gaigné ſon mary par patience & longue attente, que ſi la fortune, & les parens luy en donnoient vn plus parfaict. Voyla, diſt Oiſille, vne exemple, qui doit ſeruir à toutes les femmes mariées. Il prendra ceſt exemple, qui voudra, diſt Parlamente, mais quant à moy, il ne me ſeroit poſsible auoir ſi longue patience. Car combien qu’en tous eſtats, patience ſoit vne belle vertu, i’ay opinion qu’en mariage, elle ameine à la fin inimitié. Pource qu’en ſouffrãt iniure de ſon ſemblable, on eſt contraint de s’en ſeparer le plus loing que lon peult, & de ceſte eſtrangeté lá, vient vn deſpris de la ſaulte du deſloyal, & en ce deſpris peu à peu l’amour diminuë : car autant aime lon la choſe, que lon en eſtime la valeur. Mais il y a danger, diſt Emarſuitte, que la femme impatiente trouue vn mary furieux, qui luy donneroit douleur au lieu de patience. Et que ſçauroit faire vn mary, diſt Parlamente, que ce qui a eſté racompté en ceſte hiſtoire ? Quoy ? diſt Emarſuitte : battre tresbien ſa femme & la faire coucher en la couchette, & celle qu’il aimeroit, au grand lict. Ie croy, diſt Parlamente, qu’vne femme de bien ne ſeroit point tant marrie d’eſtre battue par colere, que deſprisée par vne qui ne la vault pas : & apres auoir porté la peine de la ſeparation d’vne telle amitié, ne ſçauroit faire le mary choſe, dont elle ſe ſceuſt plus ſoucier. Et auſsi dict le compte, que la peine qu’elle print pour le retirer, fut pour l’amour qu’elle auoit à ſes enfans : ce que ie croy. Et trouuez vous grãde patience à elle, diſt Nomerfide d’aller mettre le feu ſous le lict ou ſon mary dormoit ? Ouy, diſt Longarine : car quand elle veit la fumée elle l’eſueilla, & parauanture ce fut ou elle feit plus de faulte : car de tels mariz que ceux lá, les cendres en ſeroient bonnes à faire la leſciue. Vous eſtes cruelle, Longarine, diſt Oiſille, mais ſi n’auez vous pas ainſi veſcu auec le voſtre. Non, diſt Longarine : car (Dieu mercy) il ne

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