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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

vertu, qu’il n’y auoit de faict. Toutesfois vous voyez qu’ils reprouuent toutes choſes mauuaiſes, diſt Guebron, & meſmes Diogenes foulla aux pieds le lict de Platon, pource qu’il eſtoit trop curieux à ſon gré : pour monſtrer qu’il deſpriſoit & vouloit mettre ſous les pieds la vaine gloire & couuoitiſe de Platon, en diſant : Ie foulle l’orgueil de Platon. Mais vous ne dictes pas tout, diſt Saffredent : car Platon luy reſpondit ſoudainemẽt, que vrayemẽt il le foulloit, mais auec vne plus grãde preſumption. Car certes Diogenes vſoit d’vn tel meſpris de netteté, par vne certaine gloire & arrogance. A dire vray, diſt Parlamente, il eſt impoſsible, que la victoire de nous meſmes, ſe face par nous meſmes, ſans vn merueilleux orgueil, qui eſt le vice que chacun doibt le plus craindre : car il ſ’engẽdre de la mort & ruine de tous les autres. Ne vous ay-ie pas leu au matin, diſt Oiſille, que ceux, qui ont cuidé eſtre plus ſages, que les autres hõmes, & qui par vne lumiere de raiſon, ſont venuz à cognoiſtre vn Dieu, createur de toutes choſes, toutesfois, pour ſ’attribuer ceſte gloire, & nõ à celuy dont elle venoit, eſtimans par leur labeur auoir gaigné ce ſçauoir, ont eſté faicts non ſeulement plus ignorans & deſraiſonnables, que les autres hommes, mais que les beſtes brutes ? Car ayans erré en leurs eſprits ſe ſont attribué ce qu’à Dieu ſeul appartient, & ont monſtré leurs erreurs, par le deſordre de leurs corps, oublians & peruertiſſans l’ordre de leur ſexe, comme ſaint Paul nous monſtre en l’epiſtre qu’il eſcript aux Romains. Il n’y a nulle de nous, diſt Parlamente, qui par ceſte epiſtre ne confeſſe, que tous les pechez exterieurs ne ſoient que les fruicts de l’infidelité interieure : laquelle, plus eſt couuerte de vertu & miracles, plus eſt dangereuſe à arracher. Entre nous hommes, diſt Hircan, nous ſommes donc plus pres de noſtre ſalut, que vous autres : car ne diſsimulans point noz fruicts, cognoiſſons facilement noſtre racine. Mais vous, qui n’oſez les mettre dehors, & qui faictes tant de belles œuures apparentes, à grand peine cognoiſſez vous ceſte racine d’orgueil, qui croiſt ſous ſi belle couuerture. Ie vous confeſſe, diſt Longarine, que ſi la parolle de Dieu ne nous monſtre par la foy la lepre d’infidelité cachée en noſtre cueur, Dieu nous faict grãd grace quand nous tresbuchons en quelque offenſe viſible, par laquelle noſtre penſée couuerte ſe puiſſe clairemẽt veoir. Et bien heureux