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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

d’en faire ce qu’il appartenoit. Lon attendit que ſa ſœur fuſt accouchée : & apres auoir faict vn beau fils, furent bruſlez le frere & la ſœur, dont tout le peuple eut vn merueilleux esbahiſſement, ayant veu ſous vn ſi ſainct manteau, vn monſtre ſi horrible, & ſous vne vie tant louable & ſaincte regner vn ſi deteſtable vice.

Voila, mes dames, comme la foy du bon Comte ne fut vaincuë par ſignes ne par miracles exterieurs, ſçachant tresbien que nous n’auons qu’vn ſauueur, lequel en diſant Conſummatum eſt, a monſtré qu’il ne laiſſoit point le lieu à vn autre ſucceſſeur pour faire noſtre ſalut. Ie vous promects, diſt Oiſille, que voila vne grãde hardieſſe ſous vne extreme hippocriſie, couurir du manteau de Dieu, & de bon chreſtien vn peché ſi enorme. I’ay ouy dire, diſt Hircan, que ceux, qui ſous couleur d’vne commiſsion de Roy, font cruautez & tirannies, ſont puniz doublement : pource qu’ils couurent leur iniuſtice de la iuſtice royale. Auſsi voyez vous que les hipocrites, combien qu’ils proſperent quelque temps ſous le manteau de Dieu, & de ſaincteté, ſi eſt ce que quand le ſeigneur Dieu leue ſon mãteau, il les deſcouure & mect tous nuds : & à l’heure leur nudité, ordure, & vilennie eſt d’autant trouuée plus laide, que la couuerture eſtoit honorable. Il n’eſt rien plus plaiſant, diſt Nomerfide, que de parler naïfuement ainſi que le cueur le penſe. C’eſt pour engreſſer, reſpondit Longarine, & ie croy que vous donnez voſtre opinion ſelon voſtre condition. Ie vous diray, diſt Nomerfide : Ie veoy que les fols (ſi on ne les tue) viuent plus longuement que les ſages : & n’y entends qu’vne raiſon, c’eſt, qu’ils ne diſsimulent point leurs paſsions : s’ils ſont courroucez, ils frappent : s’ils ſont ioyeux, ils rient : & ceux qui cuident eſtre ſages, diſsimulẽt tant leurs imperfections, qu’ils en ont tous les cueurs empoiſonnez. Ie penſe, diſt Guebron, que vous dictes verité, & que l’hipocriſie, ſoit enuers Dieu, enuers les hommes, ou enuers la nature, eſt cauſe de tous les maux que nous auons. Ce ſeroit belle choſe, diſt Parlamẽte, que noſtre cueur feuſt ſi remply par foy, de celuy qui eſt toute vertu, & toute ioye, que nous le peuſſions librement monſtrer à chacun. Ce ſera à l’heure, diſt Hircan, qu’il n’y aura plus de chair ſur noz oz. Si eſt-ce, diſt Oiſille, que l’eſprit de Dieu, qui eſt plus fort que la mort, peult morti-

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