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LA IIII. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſon mortel ennemy par ſa faulte, & mort pour l’amour d’elle celuy duquel elle auoit preferé l’amitié à la miẽne : & ainſi elle voit à diſner & ſoupper les deux choſes qui plus luy doiuent deſplaire, l’ennemy viuant, & l’amy mort, & tout par ſon peché. Au demeurant, ie la traicte comme moy, ſinon qu’elle va tondue : car l’ornement des cheueux n’appartient à l’adultere, ne le voile à l’impudique : parquoy s’en va rasée, monſtrant qu’elle a perdu l’honneur la chaſteté & pudicité. S’il vous plaiſt prendre la peine de la veoir, ie vous y meneray. Ce que feit volontiers Bernage, & deſcendirent en bas, & trouuerent qu’elle eſtoit en vne tresbelle chambre aſsiſe toute ſeule, deuãt vn feu. Le gentil-hõme tira vn rideau qui eſtoit deuant vne grande armoire, ou il veit penduz tous les os d’vn homme mort. Bernage auoit grande enuie de parler à la dame, mais de peur du mary il n’oſa. Ce gentil-homme qui s’en apperceut, luy diſt : S’il vous plaiſt luy dire quelque choſe, vous verrez quelle phraſe & parolle elle a. Bernage luy diſt à l’heure : Ma dame, ſi voſtre patience eſt egale au tourment, ie vous eſtime la plus heureuſe femme du monde. La dame ayant la larme à l’oeil, auec vne grace tant humble qu’il n’eſtoit poſsible de plus, luy diſt : Monſieur, ie confeſſe ma faulte eſtre ſi grande, que tous les maux que le ſeigneur de ceans (lequel ie ne ſuis digne de nommer mary) me ſçauroit faire, ne me ſont rien, au pris du regret que i’ay de l’auoir offenſé : & en diſant cela, ſe print fort à plorer. Le gentil-hõme tira Bernage par le bras, & l’emmena. Le lendemain au matin s’en partit, pour aller faire la charge que le Roy luy auoit donnée. Toutesfois diſant à Dieu au gentil-homme, ne ſe peut tenir de luy dire : Monſieur, l’amour que ie vous porte, & l’hõneur & priuauté que vous m’auez faicte en voſtre maiſon, me contraignent vous dire, qu’il me ſemble (veu la grande repentance de voſtre pauure femme) que vous luy deuez vſer de miſericorde, & auſsi que vous eſtes ieune, & n’auez nuls enfans, & ſeroit grãd dommage de perdre vne telle maiſon que la voſtre, & que ceux qui ne vous aiment (peult eſtre) point en fuſſent heritiers. Le gentil-homme, qui auoit deliberé de ne parler iamais à ſa femme, penſa longuement au propos que luy tint le ſeigneur de Bernage, & en fin cogneut qu’il luy diſoit verité, & luy promiſt, que ſi elle perſeueroit en ceſte humili-

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