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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Ie ſuis bien marry, mes dames, dequoy la verité ne nous amene des comptes autant à l’aduãtage des cordeliers, comme elle faict à leur deſaduantage. Car ce me ſeroit grand plaiſir, pour l’amour que ie porte à leur ordre, d’en ſçauoir quelqu’vn ou i’euſſe moyen de les louër. Mais nous auõs tant iuré de dire verité, que ie ſuis contrainct, apres le rapport de gens ſi dignes de foy, de ne la celer, vous aſſeurant que quand les religieux de ce iourd’huy feroient acte, digne de memoire à leur gloire, ie mettrois grand peine à le faire trouuer beaucoup meilleur, que ie n’ay faict à dire la verité de ceſtui-cy. En bonne foy, Guebron, diſt Oiſille, voila vn amour qui ſe deuroit nommer cruauté. Ie m’esbahis, diſt Simontault, commẽt il eut la patience, la voyant en chemiſe, & au lieu ou il en pouuoit eſtre maiſtre, qu’il ne la print par force. Il n’eſtoit pas friant, diſt Saffredēt : mais il eſtoit gourmant : car pour l’enuie qu’il auoit de ſ’en ſaouler tous les iours, il ne ſe vouloit point amuſer d’en taſter. Ce n’eſt point cela, diſt Parlamẽte : mais entendez, que tout hõme furieux, eſt touſiours paoureux, & la crainte qu’il auoit d’eſtre ſurprins, & qu’on luy oſtaſt ſa proye, luy faiſoit emporter ſon aigneau, comme vn loup ſa brebis, pour la manger à ſon aiſe. Toutesfois, diſt Dagoucin, ie ne ſçaurois croire, qu’il luy portaſt amour, & auſſi qu’en vn cueur ſi vilain que le ſien, amour euſt ſceu habiter. Quoy que ce ſoit, diſt Oiſille, il en fut bien puny. Ie prie à Dieu que de pareilles entrepriſes, puiſſent ſaillir telles punitiõs. Mais à qui donnerez vous voſtre voix ? A vous, ma dame, diſt Guebron : vous ne fauldrez à nous en dire quelque bonne. Puis que ie ſuis en mon rang, diſt Oiſille, ie vous en racompteray vne bonne, pource qu’elle eſt aduenuë de mon temps, & que celuy meſme, qui me l’a comptée, l’a veuë. Ie ſuis ſeure que vous n’ignorez pas, que la fin de tous noz malheurs eſt la mort : mais mettant fin à noſtre malheur, elle ſe peult nommer noſtre felicité, & ſeur repos. Parquoy, le malheur de l’homme eſt, deſirer la mort, & ne la pouuoir auoir. Le plus grand mal que lon puiſſe donner à vn malfaicteur, n’eſt pas la mort : mais eſt de donner vn tourment continuel, ſi grand, qu’il la faict deſirer : & ſi petit, qu’il ne la peult auancer : ainſi qu’vn mary le bailla à ſa femme, comme vous orrez.

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