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LA IIII. IOVRNEE DES NOVVELLES

ger, & toute raiſon naturelle. Et vn iour, deliberant executer ſon entrepriſe, ſ’en alla tout ſeul, en la maiſon du gentil-homme : & ne le trouuãt point, demanda à la damoiſelle, ou il eſtoit allé. Elle luy diſt, qu’il eſtoit allé à vne ſienne terre, ou il deuoit demeurer deux ou trois iours : mais ſ’il auoit affaire à luy, elle y enuoyroit vn homme expres. Il diſt que non, & cõmença à aller & venir par la maiſon, comme celuy qui auoit quelque affaire d’importance en ſon entendemẽt. Et quand il fut ſailly hors de la chambre, elle diſt à vne de ſes femmes (deſquelles n’auoit que deux) Allez apres le beaupere, & ſçachez ce qu’il veult : car ie luy trouue le viſage d’vn hõme qui n’eſt pas content. La chambriere ſ’en alla à la court, luy demander ſ’il vouloit rien. Il luy reſpondit que ouy, & la tirant en vn coing, print vn poignart, qu’il auoit en ſa mãche, & le luy meit dedans la gorge. Ainſi qu’il eut acheué, arriua en la meſme court vn ſeruiteur du gentil-hõme, eſtant à cheual, lequel apportoit la rente d’vne ferme. Incontinent qu’il fut à pied, ſalüa le Cordelier, qui en l’embraſſant luy meit par derriere le poignart en la gorge, & ferma la porte du chaſteau ſur luy. La damoiſelle, voyant que ſa chambriere ne reuenoit point, ſ’ebahit pourquoy elle demeuroit tant auec le Cordelier, & diſt à ſon autre chambriere : Allez veoir à quoy il tient, que voſtre cõpaigne ne reuiẽt. La chambriere ſ’y en va, & ſi toſt qu’elle fut deſcẽdue, & que le beaupere la veid, il la tira à part en vn coing, & en feit comme de l’autre : & quãd il ſe veid ſeul en la maiſon, ſ’en vint à la damoiſelle, & luy diſt, qu’il y auoit long temps, qu’il eſtoit amoureux d’elle, & que l’heure eſtoit venuë qu’il failloit qu’elle luy obeïſt. Elle, qui ne ſ’en fut iamais doubtée, luy diſt : Mon pere, ie croy que ſi i’auois vne volonté ſi malheureuſe, que me voudriez lapider le premier. Le religieux luy diſt : Sortez en ceſte court, & vous verrez ce que i’ay faict. Quãd elle veid ſes deux chambrieres & ſon varlet morts, elle fut ſi treſeffroyée de peur, qu’elle demeura comme vne ſtatue ſans ſonner mot. A l’heure le meſchant, qui ne vouloit point iouïr d’elle pour vne heure ſeule, ne la voulut prendre par force, mais luy diſt : Ma damoiſelle, n’ayez peur, vous eſtes entre les mains de l’homme du monde qui plus vous aime. Diſant cela, il deſpouïlla ſon grand habit, deſſoubs lequel en auoit vn plus petit, qu’il preſenta à la damoiſelle, en luy diſant, que ſi

elle