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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

Voila, mes dames, comme il en prend à celles qui cuident par leurs forces & vertuz vaincre amour & nature, auec toutes les puiſſances que Dieu y a miſes. Mais le meilleur ſeroit, cognoiſſant ſa ſoibleſſe, n’intenter point contre tel ennemy, & ſe retirer au vray amy, & luy dire auec le Pſalmiſte : Seigneur, ie ſatisferay, reſponds pour moy. Il n’eſt pas poſsible, dit Oiſille, d’ouyr racompter vn plus eſtrange cas que ceſtuicy : & me ſemble que tout homme & femme doit icy baiſſer la teſte ſoubs la craincte de Dieu, voyant que pour cuider bien faire, tant de maux ſont aduenuz. Sçachez, diſt Parlamẽte, qu’au premier pas que l’homme marche en la confiance de ſoy-meſmes, il s’eſlongne d’autant de la confiance de Dieu. Celuy eſt ſage, diſt Guebron, qui ne cognoiſt ennemy que ſoy-meſmes, & qui tient ſa volonté & ſon propre conſeil pour ſuſpect, quelque apparence de bonté & de ſaincteté qu’il y ayt. Il n’y a, diſt Longarine, apparence de bien ſi grande, qui doiue faire hazarder vne femme à coucher auecques vn homme, quelque parent qu’il luy ſoit. Car le feu aupres des eſtouppes, n’eſt gueres ſeur. Sans point de faulte, diſt Emarſuitte, ce deuoit eſtre quelque glorieuſe folle, qui pẽſoit eſtre ſi ſaincte, qu’elle fuſt impeccable, cõme quelques vns veulent perſuader & faire croire aux ſimples, à ſçauoir, que par nous meſmes le pouuons eſtre : qui eſt vn erreur trop grand. Eſt il poſsible, diſt Oiſille, qu’il y en euſt d’aſſez fols pour croire ceſte opinion ? Ils font bien mieux, diſt Longarine : car ils dient qu’il ſe fault habituer à la vertu de chaſteté : & pour eſprouuer leurs forces, parlẽt auec les plus belles qui ſe peuuent trouuer, & qu’ils aiment le mieux : & auec baiſers & attouchemens de mains, experimentẽt ſi leur chair eſt du tout morte. Et quand par tel plaiſir ils ſe ſentẽt emouuoir, ils ſe ſeparent, ieuſnent, & prennent de treſgrandes diſciplines. Et quand ils ont matté leur chair iuſques lá, que pour parler ne pour baiſer, ils n’ont point d’emotion, ils viennent eſſayer la forte tentation, qui eſt de coucher enſemble, & s’embraſſer ſans aucune concupiſcence. Mais pour vn qui en eſt eſchappé, ſont venuz tant d’inconueniens, que l’Archeueſque de Milan, ou ceſte religion s’exerçoit, fut d’auis de les ſeparer & mettre les femmes au cõuent des hõmes, & les hõmes en celuy des femmes. Vrayemẽt, diſt Guebron, cela eſt bien l’extremité & comble de la folie, de

ſe vou-