Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

Baſque, qui fut iamais mangé dans Paris. La dame, qui le creut, aſſembla deux ou trois des plus honneſtes de ſes voiſines, & les aſſeura de leur donner d’vne viande nouuelle, & dont iamais elles n’auoient taſté. Quand le Dimanche fut venu, le ſecretaire cherchant ſon marchant, le trouua ſur le pont au change, & en le ſaluant gracieuſement, luy diſt : A tous les diables ſoyez vous donné, veu la peine que m'auez faict prẽdre à vous chercher. Bernard du Ha luy reſpõdit, qu’aſſez de gens auoient prins plus grande peine que luy, qui n'auoient pas à la fin eſté recompenſez de tels morceaux. Et en diſant cela, luy monſtra le paſté qu’il auoit ſoubs ſon manteau aſſez grãd pour nourrir vn camp, dont le ſecrettaire fut ſi ioyeux, que encores qu'il euſt la bouche parfaictemẽt laide & grande, en faiſant le doux la rendit ſi petite, que lon n’euſt pas cuidé qu’il euſt ſceu mordre dedans le iambon, lequel il print haſtiuement, & laiſſa lá le marchant ſans le conuier, & s’en alla porter ſon preſent à la damoiſelle, qui auoit grãde enuie de ſçauoir ſi les viures de Guyenne eſtoiẽt auſsi bons que ceux de Paris. Et quand l’heure du ſoupper fut venuë, ainſi qu’ils mangeoient leur potage, le ſecretaire leur diſt : Laiſſez lá ces viandes fades, taſtons de ceſt eguillon de vin : En diſant cela ouure ce paſté, & cuidant entamer le iambon, le trouua ſi dur, qu’il n’y pouuoit mettre le couſteau. Et apres s’eſtre efforcé pluſieurs fois, s’aduiſa qu’il eſtoit trompé, & que c’eſtoit vn ſabot de bois, qui ſont ſouliers de Gaſcongne, qui eſtoit emmanché d’vn bout de tiſon, & pouldré par deſſus de ſuye & de pouldre de fer auec de l’eſpice qui ſentoit fort bon. Qui fut bien peneux ce fut le ſecretaire, tant pour auoir eſté trompé de celuy qu’il pẽnſoit trõper, que pour auoir trompé celle à qui il vouloit & pẽſoit dire verité. Et d’autre part luy faſchoit fort de ſe contenter d’vn potage pour ſon ſoupper. Les dames, qui en eſtoient auſsi marries que luy, l’euſſent accuſé d’auoir fait la tromperie, ſinon qu’elles cogneurent bien à ſon viſage, qu’il en eſtoit plus marry qu’elles. Et apres ce leger ſoupper, s’en alla ce ſecrettaire bien coleré. Et voyant que Bernard du Ha luy auoit failly de promeſſe, luy voulut auſsi rompre la ſienne : & s’en alla chez le lieutenant ciuil, deliberé de luy dire le pis qu’il pourroit dudict Bernard. Mais il ne peut venir ſi toſt, que ledit Bernard n’euſt deſia compté tout le miſtere au

lieute-