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PROLOGVE.

ſe bien deuotement, loüans Dieu, des perils qu’ils auoient eſchappez. Ainſi qu’ils eſtoient tous à la meſſe, va entrer en l’Egliſe vn homme tout en chemiſe, fuyant comme ſi quelqu’vn le chaſſoit, criant à l’aide. Incontinent Hircan, & les autres gentils-bommes allerent au deuant de luy, pour veoir que c’eſtoit & veirent deux hommes apres luy leurs eſpées tirées : leſquels voyãt ſi grande compaignie, voulurent prendre la fuitte : mais Hircan & ſes compaignons les ſuyuirent de ſi pres, qu’ils y laiſſerent la vie. Et quand ledit Hircan fut retourné, trouua que celuy qui eſtoit en chemiſe, eſtoit vn de leurs compaignons nommé Guebron, lequel leur compta comme eſtant en vne borde aupres de Peyrchite, arriuerent trois hommes, luy eſtant au lict : mais tout en chemise auec ſon eſpée ſeulement en bleſſa ſi bien vn, qu’il demeura ſur la place : & tandis que les deux autres ſ’amuſerent à recueillir leur compaignon (voyant qu’il eſtoit nud, & eux armez) penſa qu’il ne les pourroit gaigner ſi non à fuir, comme le moins chargé d’habillements, dont il loüa Dieu, & ceux qui en auoient faict la vengeance. Apres qu’ils eurent ouy la meſſe & diſné, enuoierent voir ſ’il eſtoit poßible de paſſer la riuiere du Gaue, & cognoiſſans l’impoßibilité du paſſage, furent en vne merueilleuſe crainte, combien que l’abbé pluſieurs fois leur offrit la demeure du lieu, iuſques à ce que les eaux fuſſent abbaißées, ce qu’ils accorderent pour ce iour. Et au ſoir en ſ’en allant coucher, arriua vn vieil moyne, qui toutes les années ne failloit point à la noſtre dame de Septembre d’aller à Serrance : & en luy demandant des nouvelles de ſon voyage, dit qu’à cauſe des grandes eaux eſtoit venu par les montaignes, & par les plus mauuais chemins qu’il auoit iamais faicts, mais qu’il auoit veu vne bien grande pitié. C’est qu’il auoit trouué vn gentil-homme nommé Simontault, lequel ennuyé de la longue demeure que faiſoit la riuiere à ſ’abbaiſſer, ſ’eſtoit deliberé de la

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