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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

qu’il eftoit, fans demander congé à la dame,audacieufement fe coucha pres d’elle: ou il fut receu ainfi que le plus beau fils qui fuft en fon temps de la plus folle dame du païs, & demeura lá iufques à ce que le feigneur retourna. A la venue duquel re- prenant fon mafque, laiffa le plaifir que par fineffe & malice il vfurpoit. Le gentil-homme entrant en fa court, entendit la di- ligence qu’auoit faict fa femme de bien luy obeïr, & la mercia tres fort. Mon amy, ce dift la dame,ie ne fais que mon deuoir. Il eft vray, que, qui ne prendroit garde fur ces mefchãs garfons, vous n’auriez chien qui ne fuft galleux, ne cheual qui ne fuft maigre. Mais puis que ie cognois leur pareffe, & voftre bon vouloir, vous ferez mieux ferui que vous ne fuftes oncques Le gentil-homme, qui penfoit bien auoir choifi le meilleur pale- frenier du monde, luy demanda que luy en fembloit.Ic vousaf feure,monfieur,dift elle, qu’il faict aufsi bie fon meftier, que fer- uiteur qu’eufsiez peu choifir: mais fia il befoing d’eftre follicité: car c’eft le plus endormi varlet que ie vis iamais. Ainfi demeu- rerent longuement le mary & la dame en meilleure amitié qu’auparauãt, & perdit tout le foupçon & laialoufie qu’il auoit d’elle, pource qu’autant qu’elle auoit aimé les feftins,dances,& compaignies, elle eftoit ententiue à fon mefnage, & fe conten- toit bien fouuent de ne porter fur fa chemiſe qu’vn chamarre, en lieu qu’elle auoit accouftumé d’eftre quatre heures à s’acou- ftrer:dot elle eftoit louée de fon mary & d’vn chacun,qui n’en- tendoit pas que le pire diable chaffoit le moindre. Ainfi vef- quit cefte ieune dame fous l’hypocrifie & habit de femme de bien en telle volupté,que raifon, confcience,ordre, ne mesure n’auoient plus de lieu en elle. Ce que ne peult porter gueres longuement la ieune & delicate complexion du feigneur d’A- uannes, mais commença à deuenir tant palle & maigre, que fans porter mafque on le pouuoit bien defcognoiftre. Toutef fois la folle amour qu’il auoit à cefte femme, luy rendit telle- ment les fens hebetez, qu’il prefumoit de fa force, ce qui euft deffailly en celle d’Hercules. Dont à la fin contraint de mala- die, & confeillé par la dame, qui ne l’aimoit tant malade, que fain, demanda congé à fon maiftre de fe retirer chez fes parens: qui le luy dóna à grand regret, & luy feit promettre que,quád il feroit fain, il retourneroit en fon feruice. Ainfi s’en alla le fei- gneur