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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

le eſtoit, combien que par ſa grand’prudence elle n’en feiſt vn ſeul ſemblant. L’heure du ſoupper venue, monſieur d’Auannes diſt à Dieu à la compaignie, & ſe retira au chaſteau, ou le riche homme l’accompaigna ſur ſa mulle. Et en allant luy divt : Monſieur,

vous auez auiourd’huy tant faict d’honneur à mes & à moy, que ce me feroit ingratitude, fiie ne m’offrois auec- ques toutes mes facultez à vous faire feruice. Ie fçay,monſieur, que tels ſeigneurs que vous,qui auez peres rudes, & auaricieux, auez fouuent plus faulte d’argent, que nous, qui par petit train & bon mefnage,ne péfons que d’en amaſſer. Or eſt il ainſi que Dieu m’ayant donné femme ſelon mon defir,ne m’a voulu to- talement en ce monde bailler mon paradis, eſtant fruſtré de la ioye que les peres ont des enfans.Ie fçay, mofieur, qu’il ne m’a- partient de vous adopter pour tel, mais s’il vous plaift me re- ceuoir pour feruiteur, & me declarer voz petites affaires, tant que cent mil efcuz de mon bien ſe pourront eftédre, ie ne faul- dray de vous ſecourir en voz necefsitez. Monfieur d’Auannes fut fort ioyeux de ceft offre: car il auoit vn pere tel que l’autre luy auoit dechifré. Et apres l’auoir bien remercié, le nomma ſon pere par alliance. De ceft heure lá ledict riche homme print telle amour audict ſeigneur d’Auannes, que matin & ſoir ne ceffoit de s’enquerir s’il luy falloit quelque choſe. Et ne cela à fa femme la deuotion qu’il auoit audict ſeigneur d’Auannes, dont elle l’aima doublemet. Et depuis ceſte heure lá ledict fei- gneur d’Auannes n’auoit faulte de choſe qu’il defiraft. Il alloit fouuent vers ce riche homme, boire & manger auecques luy: & quand il ne le trouuoit point, fa femme luy bailloit tout ce qu’il demandoit, & d’auantage parloit à luy fi ſagement, l’ad- monneftant d’eftre vertueux, qu’il la craignoit, & l’aimoit plus que toutes les femmes du monde. Elle,qui auoit Dieu & Phon- neur deuant les yeux,ſe contentoit de fa veuë & parolle, ou gift la ſatisfaction de l’honnefteté & bonne amour, en forte, que iamais elle ne luy feit ſigne, parquoy il peuft penſer & iuger, qu’elle euft autre affection à luy,que fraternelle & chreftienne. Durat ceſte amitié couuerte,mofieur d’Auannes, par l’aide des deffufdicts, eftoit fort gorgias,& bien en ordre. Et approchant l’aage de dixfept ans, comença de chercher plus les dames, qu’il n’auoit de couftume. Et cóbien qu’il euft plus volontiers aimé C iij