Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

Plaiſant diſcours d’vn grand ſeigneur, pour auoir la iouyſſance d’vne dame de Pampelune.


NOVVELLE VINGTSIXIESME.



Il y avoitau temps du Roy Loys douzieſme vn ieune ſeigneur nõmé monſieur d’Auãnes fils du ſire d’Alebret, & frere du Roy Iean de Nauarre, auec lequel ledict ſeigneur d’Auannes demeuroit ordinairement. Or eſtoit ce ieune ſeigneur de l’aage de quinze ans, tant beau, & plein de toutes bonnes graces, qu’il ſembloit n’eſtre faict, que pour eſtre aimé & regardé. Ce qui eſtoit de tous ceux qui le voyoient, & plus que de nulle autre, d’vne femme demourante en la ville de Pampelune en Nauarre, laquelle eſtoit mariée à vn fort riche homme, auec lequel viuoit fort honneſtement : & combien qu’elle ne fuſt aagée que de vingt trois ans, ſi eſt-ce que, parce que ſon mary approchoit du cinquantieſme, s’habilloit tãt modeſtement, qu’elle ſembloit plus vefue que mariée. Et iamais à nopces ny à feſtins homme ne la veit aller fans ſon mary, duquel elle eſtimoit tant la vertu & la bonté, qu’elle le preferoit à la beauté de tous autres. Le mary l’ayant experimentée ſi ſage, y print telle ſeureté, qu’il luy commettoit toutes les aſſaires de ſa maiſon. Vn iour fut conuié ce riche homme auecques ſa femme aux nopces de l’vne de ſes parentes. Auquel lieu, pour les honorer, ſe trouua le ieune ſeigneur d’Auannes, qui naturellement aimoit la dance, comme celuy qui en ſon temps n’y trouuoit ſon pareil. Apres diſner que le bal commença, fut prié ledict ſeigneur d’Auannes par le riche homme de vouloir dancer. Ledict ſeigneur luy demanda qu’il vouloit qu’il menaſt. Il luy reſpondit : Monſieur, s’il y en auoit vne plus belle, & plus à mon commandement que ma femme, ie la vous preſenterois, vous ſuppliant me faire ceſt honneur de la mener. Ce que feit le ieune prince, duquel la ieuneſſe eſtoit ſi grande qu’il prenoit plus de plaiſir à ſaulter & dancer qu’à regarder la beauté des dames. Et celle qu’il menoit, au contraire regardoit plus la grace & beauté dudict ſeigneur, que la dance ou elle

eſtoit,