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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

oraiſon en l’Egliſe. Qui donna grande occaſion aux religieux, qui en entrant & ſortant de matines le voyoient à genoux d’eſtimer que ce fuſt le plus ſainct homme du monde. Ce prince auoit vne ſœur, qui frequentoit fort ceſte religion. Et comme celle qui aimoit ſon frere, plus que toutes les creatures du mõde, le recommandoit aux prieres de toutes les bonnes perſonnes, qu’elle pouuoit cognoiſtre. Et vn iour qu’elle le recommandoit affectueuſement au prieur de ce monaſtere, il luy diſt : Helas, ma dame ! qui eſt-ce que vous me recommandez ? vous me parlez de l’homme du mõde, aux prieres duquel i’ay plus d’enuie d’eſtre recommandé. Car ſi ceſtuy là n’eſt ſainct & iuſte (allegant le paſſage, que bien heureux eſt qui peult faire mal, & ne le faict) ie n’eſpere pas d’eſtre trouué tel. La ſœur, qui eut enuie de ſçauoir quelle cognoiſſance ce beaupere auoit de la bonté de ſon frere, l’interrogea ſi fort, qu’en luy baillant ce ſecret ſoubs le voille de confeſsion, luy diſt : N’eſt-ce pas vne choſe admirable, de veoir vn prince ieune & beau, laiſſer les plaiſirs & ſon repos, pour bien ſouuent venir ouïr noz matines ? non comme prince cherchant l’honneur du monde, mais cõme vn ſimple religieux, vient tout ſeul ſe cacher en l’vne de noz chappelles. Sans faulte, ceſte bonté rend mes freres & moy ſi confuz, qu’aupres de luy nous ne ſommes dignes d’eſtre appellez religieux. La ſœur, qui entendit ces parolles, ne ſceut que croire : car nonobſtant que ſon frere fuſt bien mondain, ſi ſçauoit elle qu’il avoit la conſcience bonne, la foy & l’amour en Dieu, bien grande : mais d’aller à l’egliſe à telle heure, elle ne l’euſt iamais ſoupçonné. Parquoy elle ſ’en vint à luy, & luy compta la bonne opinion que les religieux auoient de luy, donc il ne ſe peut garder de rire, auec vn viſage tel, qu’elle, qui le cognoiſſoit comme ſon propre cueur, cogneut qu’il y auoit quelque choſe cachée ſoubs ſa deuotion : & ne ceſſa iamais qu’il ne luy en euſt dict la verité telle, que ie l’ay miſe icy par eſcrit, & qu’elle feit l’honneur de me le compter.

C’eſt à fin que vous cognoiſsiez, mes dames, qu’il n’y a malice d’aduocat, ny fineſſe de moine, qu’amour en cas de neceſsité ne face tromper, par ceux qui ſont parfaicts en amour : & puis qu’amour ſçait tromper les trompeurs, nous pauures ſimples ignorantes, le deuons bien craindre. Encores, diſt Guebron, que ie

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