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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

maiſon, qu’il le mena en ſa chambre, & diſt à ſa femme qu’elle appreſtaſt la collation, des meilleurs fruicts & confitures qu’elle pourroit finer. Ce qu’elle feit treſvolontiers, & l’appreſta la plus honneſte qu’il luy fut poſsible. Et nonobſtant que l’habillement qu’elle portoit d’vn couurechef & mãteau, la monſtraſt plus belle qu’elle n’auoit accouſtumé, ſi ne feit pas le ieune prince ſemblant de la regarder : mais touſiours parloit à ſon mary de ſes affaires, cõme à celuy qui les auoit touſiours maniées. Et ainſi que la dame tenoit à genoux les confitures deuãt le prince, & que le mary alla au buffet, pour luy donner à boire, elle luy diſt, qu’au partir de la chambre il ne failliſt d’entrer en vne garderobbe à main droicte, ou bien toſt apres elle l’iroit veoir. Incontinent qu’il eut beu, remercia l’aduocat, lequel le vouloit à toute force accompaigner : mais il l’aſſeura que lá ou il alloit n’auoit beſoing de cõpaignie. Et en ſe tournant deuers ſa femme, luy diſt : auſsi ie ne vous veux pas faire tort de vous oſter ce bon mary, lequel eſt de mes anciẽs ſeruiteurs. Vous eſtes ſi heureuſe de l’auoir, que vous auez bien occaſion d’en louër Dieu, & de le bien ſeruir, & obeïr. Et ſi vous faiſiez autrement, vous ſeriez bien malheureuſe. En diſant ces honneſtes propos, ſ’en alla le ieune prince, & fermant la porte apres ſoy pour n’eſtre ſuiuy au degré, entra dedans la garderobbe, ou apres que le mary fut endormy ſe trouua la belle dame, qui le mena dedans vn cabinet le mieux en ordre qu’il eſtoit poſsible. Combien que les plus beaux images qui y fuſſent, eſtoient luy & elle, en quelques habillemẽs qu’ils ſe voulſiſſent mettre. Et lá ie ne fais doubte qu’elle ne luy tint toutes ſes promeſſes. De lá ſe retira à l’heure qu’il auoit dict à ſes gẽtils-hommes, & les trouua au lieu ou il leur auoit commandé de l’attendre. Et pource que ceſte vie dura aſſez longuement, choiſit le ieune prince vn plus court chemin pour y aller. C’eſt qu’il paſſoit par vn monaſtere de religieux, & auoit ſi bien faict enuers le prieur, que touſiours enuiron minuict le portier luy ouuroit la porte, & pareillement quand il ſ’en retournoit. Et pource que la maiſon ou il alloit eſtoit pres de lá, ne menoit perſonne auecques luy. Et neantmoins qu’il menaſt la vie que ie vous dis, ſi eſtoit il prince craignant & aimant Dieu. Et ne failloit iamais, combien qu’à l’aller il ne s’arreſtaſt point, de demourer au retour long temps en