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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

miracles, comme d’affoiblir les forts, fortifier les foibles, donner intelligence aux ignorans, oſter le ſens aux plus ſages, fauoriſer aux paſsions, deſtruire la raiſon, & brief l’amoureuſe diuinité prend plaiſir en telles mutations. Et pource que les princes n’en ſont exempts, auſsi ne le ſont ils de la neceſsité, en laquelle les met le deſir de la ſeruitude d’amour. Et par force leur eſt non ſeulement permis vſer de menſonge, hipocriſie, & fiction, qui ſont les moyens de vaincre les ennemis, ſelon la doctrine de maiſtre Iean de Meun. Or puis qu’en tel acte d’vn prince, eſt louable la condition, qui en tous autres fait à deſeſtimer, ie vous racompteray les inuentions d’vn ieune prince, par leſquelles il trompa ceux qui ont accouſtumé de tromper tout le monde.


Subtil moyen dont vſoit vn grand prince, pour iouyr de la
femme d’vn Aduocat de Paris.


NOUVELLE VINGTCINQIESME.



En la ville de Paris, y auoit vn Aduocat plus eſtimé que neuf hommes de ſon eſtat, & pour eſtre cherché d’vn chacun, à cauſe de ſa ſuffiſance, eſtoit deuenu le plus riche de tous ceux de ſa robe. Mais voyãt qu’il n’auoit eu nuls enfans de ſa premiere femme, eſpera d’en auoir d’vne ſeconde. Et combien que ſon corps fuſt vieil, ſon cueur ne ſon eſperance n’eſtoient point morts : qui luy feit choiſir vne fille dans la ville, de l’aage de dixhuict à dixneuf ans, fort belle de viſage & de teinct, & encores plus de taille, & de bon poinct. Laquelle il aima & traicta le mieux qui luy fut poſsible : & n’eut d’elle nõ plus d’enfans que de la premiere, dont à la longue elle ſe faſcha. Parquoy la ieuneſſe, qui ne peult porter long ennuy, luy feit chercher recreation ailleurs qu’en ſa maiſon, en allant aux dances, & banquets, toutesfois ſi honneſtement, que ſon mary n’en pouuoit prendre mauuaise opinion : Car elle eſtoit touſiours en la compaignie de celles en qui il auoit fiance. Vn iour qu’elle eſtoit en vnes nopces, ſ’y trouua vn bien grãd prince, qui en