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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

Lequel cogneu, ſoudain l’autre deffault.
Par le temps ſuis du tout à luy rendu,
Et par le temps de l’autre deffendu.
Mon cueur & corps luy donne en ſacrifice,
Pour faire à luy, & non à vous, ſeruice.
En vous ſeruant rien m’auez eſtimé :
Et i’ay le rien en offenceant aimé.
Mort me donnez pour vous auoir ſeruie,
Et le fuyant il me donne la vie.
Or par ce temps amour plein de bonté
A l’autre amour ſi vaincu & dompté,
Que mis à rien, eſt retourné en vent,
Qui fut pour moy trop doux & deceuant.
Ie le vous quitte, & rends du tout entier,
N’ayant de luy ne de vous nul meſtier.
Car l’autre amour parfaicte & perdurable
Me ioinct en luy d’vn lien immuable.
A luy m’en vois, lá me veux aſſeruir,
Sans plus ne vous ne voſtre dieu ſeruir.
Ie prends congé de cruauté, de peine,
Et du torment, du dedaing, de la haine,
Du feu bruſlant dont vous eſtes remplie,
Comme en beauté treſparfaicte acomplie.
Ie ne puis mieux dire à dieu à tous maux,
A tous malheurs, & douloureux trauaux,
Et à l’enfer de l’amoureuſe flamme
Qu’en vn ſeul mot vous dire, à dieu, ma dame,
Sans nul eſpoir ou que ſoye ou ſoyez,
Que ie vous voye, ou que plus me voyez.

Ceſte epiſtre ne fut pas leuë ſans grandes larmes & eſtonnemens accompagnez d’vn regret incroyable. Car la perte qu’elle

auoit