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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

abbaye de Gif, ou elle auoit eu tant de mal, & faicte abbeſſe par le don du Roy de l’abbaye nommée Gien pres de Montargis : qu’elle reforma, & veſquit cõme pleine de l’eſprit de Dieu, le loüant toute ſa vie, de ce qu’il luy auoit pleu luy donner honneur & repos.

Voila, mes dames, vne hiſtoire, qui eſt bien pour monſtrer ce que dict l’Euangile, & ſainct Paul aux Corinthiens : Que Dieu par les choſes foibles, confond les fortes, & par les inutiles aux yeux des hommes, la gloire de ceux qui cuident eſtre quelque choſe, & ne ſont rien. Et penſez, mes dames, que ſans la grace de Dieu, il n’y a homme ou lon doiue croire nul bien, ne ſi forte tentation, dont auecques luy lon n’emporte victoire : comme vous pouuez veoir par la confeſsion de celuy que lon eſtimoit iuſte, & par l’exaltation de celle qu’il vouloit faire trouuer pechereſſe & meſchante. Et en cela eſt verifié le dire de noſtre Seigneur : Qui ſe exaltera, ſera humilié : & qui ſe humiliera, ſera exalté. Helas ! diſt Oiſille, que ce prieur lá a trompé de gens de bien, car i’ay veu qu’on ſe fioit plus en luy qu’en Dieu. Ce n’eſt pas moy, diſt Nomerfide, car ie ne m’arreſte point à telles gens. Il y en a de bons, diſt Oiſille, & ne fault pas que pour les mauuais, ils ſoient tous iugez : mais les meilleurs ſont ceux, qui hantent moins les maiſons ſeculieres, & les femmes. Vous dictes bien, diſt Emarſuitte : car moins on les voit, moins on les cognoiſt, & plus on les eſtime, pource que la frequentation les monſtre tels qu’ils ſont. Or laiſſons le monſtier ou il eſt, diſt Nomerfide, & voyons à qui Guebron donnera ſa voix. Ce ſera, diſt il, à ma dame Oiſille, à fin qu’elle die quelque choſe à l’hõneur des freres religieux. Nous auons tant iuré, diſt Oiſille, de dire verité, que ie ne ſçaurois ſouſtenir autre partie. Et auſſi en faiſant voſtre compte, vous m’auez remis en memoire vne piteuſe hiſtoire que ſeray contraincte de dire, pource que ie ſuis voiſine du païs, ou de mon temps elle eſt aduenue. Et à fin, mes dames, que l’hypocriſie de ceux, qui s’eſtiment plus religieux que les autres, ne vous enchante l’entendement, de ſorte que voſtre foy diuertie de ce droict chemin, s’eſtime trouuer ſalut en quelque autre creature, qu’en celuy ſeul qui ne veult auoir compaignon à noſtre creation & redemption, lequel eſt tout puiſſant pour nous ſauuer en la vie eternelle, & en ceſte

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