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PROLOGVE.

ſans retourner auſsi facilement à Therbes, comme ils eſtoient venuz) trouuerent les petits ruiſſeaux ſi fort creux, qu’à peine les peurent ils gayer. Mais quand ce vint à paſſer le Gaue Biernois, qui en allant n’auoit point deux pieds de profondeur, le trouuerent tant grand & impetueux, qu’ils ſe deſtournerent pour chercher les ponts, leſquels pour n’eſtre que de bois furent emportez par la vehemence de l’eau : & quelques vns cuidans rompre la roideur du cours, pour ſ’aſsẽbler pluſieurs enſemble, furent emportez ſi promptement, que ceux qui les vouloient ſuyuir, perdirent le pouuoir & le deſir d’aller apres. Parquoy tant pour chercher chemin nouueau, que pour eſtre de diuerſes opinions, ſe ſeparerent. Les vns trauerſerent la hauteur des montaignes, & paſſans par Arragon, vindrent en la comté de Roſsillon, & de lá à Narbonne : les autres ſ’en allerent droict à Barſelonne : ou par la mer les vns ſ’en allerent à Marſeille, & les autres à Aigueſmortes. Mais vne dame vefue de longue experience (nommée Oiſille) ſe delibera d’oublier toute crainte pour les mauuais chemins, iuſques à ce qu’elle fuſt venuë à noſtre dame de Serrance, eſtant ſeure que ſ’il y auoit moyen d’eſchapper d’vn danger, que les moynes le deuoient bien trouuer : & ſeiſt tant qu’elle y arriua, paſſant de ſi eſtrangers lieux, & ſi difficiles à monter & deſcendre, que ſon aage & peſanteur ne la garderent point d’aller à pied la plus part du chemin. Mais la pitié ſut, que la plus part de ſes gens, & cheuaux, demeurerent morts par les chemins, & arriua à Serrance auec vn homme & vne ſemme ſeulement, ou elle fut charitablement receuë des religieux. Il y auoit auſsi parmy les Francois deux gentils-hommes qui eſtoient allez aux bains, plus pour accompaigner les dames (dont ils eſtoient ſeruiteurs) que pour faulte qu’ils euſſent de ſanté. Ces gentils-hommes icy voyans la compaignie ſe departir, & que les mariz de leurs dames les emmenoient à part,

penſerent