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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

elle reſpondoit choſe qui deſpleuſt au prieur, il la mettroit in pace, c’eſt à dire, en chartre perpetuelle, endura ceſte ſentence, leuant les yeux au ciel, & priant celuy, qui auoit eſté ſa reſiſtance contre le peché, vouloir eſtre ſa patience contre ſa tribulation. Encores defendit ce venerable prieur, que quand ſa mere ou ſes parens viendroient, qu’on ne la ſouffriſt de trois ans parler à eux, n’eſcrire lettres ſinon faictes en communauté. Ainſi s’en alla ce malheureux homme ſans plus y reuenir, & fut ceſte pauure fille long temps en la tribulation que vous auez ouye. Mais ſa mere, qui ſur tous ſes enfans l’aimoit, voyãt qu’elle n’auoit plus de nouuelles d’elle, s’en eſmerueilla fort, & diſt à vn ſien fils ſage & honneſte gentil-homme, qu’elle penſoit que ſa fille eſtoit morte, & que les religieuſes pour en auoir la penſion annuelle luy diſsimuloient, luy priant en quelque façon que ce fuſt de trouuer moyen de veoir ſadicte ſœur. Lequel incontinent alla à la religion, en laquelle on luy feit les excuſes accouſtumées : c’eſt, qu’il y auoit trois ans, que ſa ſœur ne bougeoit du lict. Dont il ne ſe teint pas content, & leur iura que s’il ne la voyoit, il paſſeroit par deſſus les murailles, & forceroit le monaſtere. De quoy elles eurẽt ſi grande peur, qu’elles luy amenerẽt ſa ſœur à la grille, laquelle l’abbeſſe tenoit de ſi pres, qu’elle ne pouuoit dire à ſon frere choſe qu’elle n’entendiſt. Mais elle, qui eſtoit ſage, auoit mis par eſcrit tout ce qui eſt cy deſſus, auec mille autres inuentions que ledict prieur auoit trouuées pour la deceuoir, que ie laiſſe à compter pour la longueur. Si ne veux-ie oublier à dire, que durant que ſa tante eſtoit abbeſſe, penſant qu’il fuſt refusé pour ſa laideur, feit tenter ſœur Marie par vn beau & ieune religieux, eſperant que ſi par amour elle obeïſſoit à ce religieux, que apres il la pourroit auoir par crainte. Mais d’vn iardin ou ledict religieux luy teint propos auec geſtes ſi deshonneſtes, que i’aurois honte de les referer, la pauure fille courut à l’abbeſſe qui parloit au prieur, criant : Ma mere, ce ſont diables en lieu de religieux, ceux qui nous viennent viſiter. Et à l’heure le prieur, ayant peur d’eſtre deſcouuert, commença à dire en riant : Sãs faulte, ma mere, ſœur Marie a raiſon : & en la prenant par la main, luy diſt deuant l’abbeſſe : I’auois entẽdu que ſœur Marie parloit fort bien, & auoit le langage ſi à main qu’on l’eſtimoit mondaine : & pour ceſte occaſion ie me

ſuis