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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ceans. Elle luy reſpõd : mon pere, l’aage de cinq ans, que i’auois, doit eſtre teſmoing de ma virginité. Or bien, ma fille, depuis ce temps lá auez vous point perdu ceſte belle fleur ? Elle luy iura que non, & que jamais n’auoit trouué empeſchement que de luy. A quoy il diſt, qu’il ne la pouuoit croire, & que la choſe giſoit en preuue. Quelle preuue, diſt elle, vous en plaiſt il faire ? Comme i’en fais aux autres, diſt le prieur : car tout ainſi que ie ſuis viſiteur des ames, auſsi le fuis-ie des corps. Voz abbeſſes & prieures ont paſsé par mes mains, vous ne deuez craindre que ie viſite voſtre virginité. Parquoy iettez vous ſur le lict, & mettez le deuant de voſtre habillemẽt ſur voſtre viſage. Sœur Marie luy reſpondit par colere : Vous m’auez tant tenu de propos de la folle amour que vous me portez, que i’eſtime pluſtoſt que me voulez oſter ma virginité, que de la vouloir viſiter : parquoy entendez que iamais ie n’y conſentiray. Alors il luy diſt qu’elle eſtoit excommuniée de refuſer l’obedience de ceſte religion, & ſi elle ne conſentoit qu’il la deshonoreroit en plein chapitre, & diroit le mal qu’il ſçauoit entre elle & le confeſſeur. Mais elle d’vn viſage ſans peur luy reſpõdit. Celuy qui cognoiſt le cueur de ſes ſeruiteurs, me rendra autant d’honeur deuant luy, que vous me ferez de hõte deuant les hommes. Parquoy puis que voſtre malice en eſt iuſques lá, i’aime mieux qu’elle paracheue ſa cruauté enuers moy, que le deſir de ſon mauuais vouloir : car ie ſçay que Dieu eſt iuſte iuge. A l’heure il s’en alla amaſſer tout le chapitre, & feit venir deuant luy à genoux ſœur Marie, à laquelle il diſt, par vn merueilleux deſpit : Sœur Marie, il me deſplaiſt, que les bõnes admonitions, que ie vous ay données, ont eſté inutiles en voſtre endroit : & vous eſtes tombée en vn tel inconuenient que ie ſuis contrainct de vous enioindre vne penitence nitence cõtre ma couſtume : c’eſt, qu’ayant examiné voſtre confeſſeur ſur aucuns crimes à luy impoſez, ma cõfeſsé auoir abuſé de voſtre perſonne au lieu ou les teſmoings dient l’auoir veu. Parquoy ainſi que vous auois eſleuée en eſtat honorable, & maiſtreſſe des nouices, i’ordonne que vous ſoyez miſe non ſeulement la derniere de toutes, mais mangeant à terre deuant toutes les ſœurs pain & eau, iuſques à ce qu’on cognoiſſe voſtre contrition ſuffiſante d’auoir grace. Sœur Marie, eſtant aduertie par vne de ſes compaignes qui entendoit tout ſon affaire, que ſi

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