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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

donner, que ſans luy auoir tous les biens : & qu’il n’euſt plus à luy parler de ces propos, ou elle le diroit à ſa mere abbeſſe, mais qu’en ſe taiſant, elle ſe tairoit. Ainſi s’en alla ce mauuais paſteur, lequel pour ſe mõſtrer tout autre qu’il n’eſtoit, & pour encor auoir le plaiſir de regarder celle qu’il aimoit, ſe retourna vers l’abbeſſe, luy diſant : Ma mere, ie vous prie faictes chãter à toutes voz filles vn ſalue regina, en l’hõneur de ceſte vierge ou i’ay mon eſperance. Ce qui fut faict : durant lequel ce regnard ne feit que plorer, non d’autre deuotion que de regret qu’il auoit de n’eſtre venu au deſſus de la ſienne. Et toutes les religieuſes penſans que ce fuſt d’amour à la vierge Marie, l’eſtimoient vn ſainct homme. Seur Marie, qui cognoiſſoit ſa malice, prioit en ſon cueur de confondre celuy qui deſpriſoit tant la virginité. Ainſi s’en alla ceſt hipocrite à ſaint Martin, auquel lieu ce meſchant feu qu’il auoit en ſon cueur ne ceſſa de bruſler iour & nuict, & de chercher toutes les inuẽtions poſsibles pour venir à ſes fins. Et pource que ſur toutes choſes il craignoit l’abbeſſe qui eſtoit femme vertueuſe, il penſa le moyen de l’oſter de ce monaſtere. Ainſi s’en alla vers ma dame de Vendoſme pour l’heure demeurãt à la Fere, ou elle auoit edifié & fondé vn conuent de ſaint Benoiſt, nommé le mont d’Oliuet. Et comme celuy qui eſtoit le ſouuerain reformateur, luy donna à entendre que l’abbeſſe dudict mont d’Oliuet n’eſtoit pas aſſez ſuffiſante pour gouuerner vne telle communauté. La bonne dame le pria de luy en donner vne autre, qui fuſt digne de ceſt office. Et luy, qui ne demandoit autre choſe, luy conſeilla de prédre l’abbeſſe de Gif, pour la plus ſuffiſante qui fuſt en France. Ma dame de Vendoſme incontinent l’enuoya querir, & luy donna la charge de ſon monaſtere du mont d’Oliuet. Le prieur de ſaint Martin, qui auoit en ſa main les voix de toute la religion, feiſt eſlire à Gif vne abbeſſe à ſa deuotion. Et apres ceſte election, s’en alla audict lieu de Gif, eſſayer encores vne fois ſi par priere ou par douceur il pourroit gaigner ſœur Marie Herouët. Et voyant qu’il n’y auoit nul ordre, retourna deſeſperé en ſon prioré de ſainct Martin, auquel lieu tant pour venir à ſa fin, que pour ſe venger de celle qui luy eſtoit trop cruelle, de peur auſsi que ſon affaire fuſt euenté, feit deſrobber ſecrettement les reliques dudict Gif de nuit, & meit à ſus au

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