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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſauuerez. Elle luy demanda quelle façon de ieu il entendoit faire. Il luy diſt, qu’elle pouuoit bien repoſer ſa conſcience ſur la ſienne, & qu’il ne feroit choſe dont l’vne ne l’autre fuſt chargée. Et pour luy monſtrer le commencement du paſſe-temps qu’il demandoit, la vint embraſſer, & eſſayer de la ietter ſur vn lict. Elle cognoiſſant ſa meſchante intention, ſe deffendit ſi bien de parolles & de bras, qu’il n’eut pouuoir de toucher qu’à ſes habillemens. A l’heure quand il veid toutes ſes inuentions & efforts eſtre tournez en rien, comme vn homme furieux, & non ſeulement hors de conſcience, mais de raiſon naturelle, luy meit la main ſoubs la robbe, & tout ce qu’il peut toucher des ongles eſgratigna de telle fureur, que la pauure fille en criant bien fort, de tout ſon hault tomba à terre toute eſuanouye. Et à ce cry entra l’abbeſſe dans le dortouër ou elle eſtoit, laquelle eſtant à veſpres ſe ſouuint auoir laiſſé ceſte religieuſe ſeule auec le Beaupere, qui eſtoit fille de ſa niepce : dont elle eut vn ſcrupule en ſa conſcience, qui luy feit laiſſer veſpres, & alla à la porte du dortouër, eſcouter que lon faiſoit : mais oyant la voix de ſa niepce pouſſa la porte que le ieune moyne tenoit. Et quand le prieur veid venir l’abbeſſe, en luy monſtrãt ſa niepce eſuanouye en terre, luy diſt : Sans faulte, noſtre mere, vous auez grand tort, que vous ne m’auez dict les conditions de ſœur Marie : car ignorant ſa debilité ie l’ay faict tenir de bout deuant moy, & en la chapitrant s’eſt eſuanouye, comme vous voyez. Ils la feirent reuenir auec vinaigre & autres choſes propices, & trouuerent que de ſa cheutte elle eſtoit bleſſée à la teſte. Et quand elle fut reuenue, le prieur, craignant qu’elle comtaſt à ſa tante l’occaſion de ſon mal, luy diſt à part : Ma fille, ie vous commande ſur peine d’inobedience & d’eſtre damnée eternellement, que vous n’ayez iamais à parler de ce que ie vous ay faict icy. Car entendez que l’extremité d’amour m’y a contraint, & puis que ie voy que vous ne le voulez, ie ne vous en parleray iamais que ceſte fois. Vous aſſeurãt, que ſi vous me voulez aimer, ie vous feray eſlire abbeſſe d’vne des meilleures abbayes de ce royaume. Elle luy reſpõdit qu’elle aimoit mieux mourir en chartre perpetuelle, que d’auoir iamais autre amy que celuy qui eſtoit mort pour elle en la croix, auec lequel elle aimoit mieux ſouffrir tous les maux que le monde pourroit

donner