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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſe courrouçant à toutes les religieuſes, reprenant l’vne que ſon voille n’eſtoit pas aſſez bas, l’autre qu’elle haulſoit trop la teſte, & l’autre qu’elle ne faiſoit pas bien la reuerence en religieuſe. Et en tous ces petits cas lá ſe monſtroit ſi auſtere, qu’on le craignoit comme vn Dieu peinct en iugement. Et luy, qui auoit les gouttes, ſe trauailla tant de viſiter les lieux reguliers, que enuiron l’heure de veſpres (heure par luy apoſtée) ſe trouua au dortouër. L’abbeſſe luy diſt : Pere reuerend, il eſt temps de dire veſpres. A quoy il reſpondit : allez mere, allez, faictes les dire, car ie ſuis ſi las que ie demeureray icy, non pour repoſer, mais pour parler à ſœur Marie, de laquelle i’ay ouy treſmauuais rapport : car lon m’a dict qu’elle caquette comme ſi c’eſtoit vne mõdaine. La prieure, qui eſtoit tante de ſa mere, le pria de la biẽ chappitrer, & la luy laiſſa toute ſeule, ſinon vn ieune religieux, qui eſtoit auec luy. Quand il ſe trouua tout ſeul auec ſœur Marie, commença à luy leuer le voille, & commander qu’elle le regardaſt. Elle luy reſpondit, que ſa reigle luy deffendoit de regarder les hommes. C’eſt bien dict, ma fille, luy diſt il, mais il ne fault pas que vous eſtimez qu’entre nous religieux ſoyõs hommes. Parquoy ſœur Marie craignant faillir par deſobeïſſance le regarda au viſage : elle le trouua ſi laid, qu’elle penſa faire plus de penitence que de peché à le regarder. Le Beaupere apres luy auoir tenu pluſieurs propos de la grande amitié qu’il luy portoit, luy voulut mettre la main au tetin, qui fut par elle bien repoulſé comme elle deuoit, & fut ſi courroucé qu’il luy diſt : Fault il qu’vne religieuſe ſçache qu’elle ait des tetins ? Elle luy reſpondit : ie ſçay que i’en ay, & certainement que vous ny autre n’y toucherez point : car ie ne ſuis ſi ieune ne ignorante, que ie n’entende bien ce qui eſt peché, & ce qui ne l’eſt pas. Et quand il vend que ſes propos ne la pouuoient gaigner, luy en va bailler d’vn autre, diſant : Helas, ma fille ! il fault que ie vous declare mon extreme neceſsité : c’eſt, que i’ay vne maladie que tous les medecins trouuẽt incurable, ſinon que ie me reiouïſſe & iouë auec quelque femme que i’aime bien fort. De moy, ie ne voudrois pour mourir faire peché mortel. Mais quand lon viendroit iuſques lá, ie ſçay que ſimple fornication n’eſt nullement à comparer au peché d’homicide. Parquoy ſi vous aimez ma vie, en ſauuant voſtre conſcience de crudelité, vous me la