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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

temps : combien que ie n’entends, en racõptant l’hiſtoire d’vn meſchant religieux, empeſcher la bonne opinion que vous deuez auoir des gens de bien. Mais veu que le Pſalmiſte dict, que tout homme eſt menteur : & en vn autre endroict : & n’eſt celuy qui face bien aucun, non iuſques à vn : Il me ſemble qu’on ne peult faillir d’eſtimer l’hõme tel qu’il eſt. Car s’il y a du bien, on le doit attribuer à celuy qui en eſt la ſource, & non à la creature, à laquelle par trop donner de gloire & de louange, ou eſtimer de ſoy quelque choſe de bon, la plus part des perſonnes ſont trompées. Et à fin que vous ne trouuiez impoſsible que ſoubs extreme auſterité ne ſe trouue extreme concupiſcence, entendez ce qui aduint du temps du Roy François premier de ce nom.



Vn prieur reformateur ſoubs vmbre de ſon hypochriſie tente tous moyens pour ſeduire vne ſaincte religieuſe. Dont en fin ſa malice eſt deſcouuerte.


NOVVELLE VINGTDEVXIESME.



En la ville de Paris y auoit vn prieur de ſainct Martin des Champs, duquel ie tairay le nom, pour l’amitié que ie luy ay portée. Sa vie, iuſques à l’aage de cinquante ans, fut ſi auſtere, que le bruit de ſa ſaincteté creut par tout le Royaume de France : tellement qu’il n’y auoit prince ne princeſſe qui ne luy feiſt grand honneur & reuerence, quand il les venoit veoir : & ne ſe faiſoit reformation de religion, qui ne fuſt faicte par ſa main, car on le nommoit le pere de vraye religion. Il fut eſleu viſiteur de la grande religion des dames de Fronteuaux, deſquelles il eſtoit tant craint, que quand il venoit en quelqu’vn de leurs monaſteres, toutes les religieuſes trembloient de peur, & pour l’appaiſer des grandes rigueurs qu’il leur tenoit, le traictoient comme elles euſſent faict la perſonne du Roy : ce que au commencement il refuſoit, mais à la fin venant ſur les cinquante-cinq ans, commença à trouuer fort bon le traictement qu’il auoit au commencement refusé, & s’e-


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