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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

bien que nul die qu’elle ait offensé ſon honneur, veu que par ſa fermeté, elle eſt occaſion d’augmenter la noſtre. En bonne foy, dit Parlamente, Oiſille, vous nous auez racompté l’hiſtoire d’vne femme d’vn treſgrãd & honeſte cueur : mais qui dõne autant de luſtre à ſa fermeté, qu’eſt la deſloyauté de ſon mary, qui la voulut laiſſer pour vn autre. Ie croy, diſt Longarine, que ceſt ennuy lá luy fut le plus importable : car il n’y a faiz ſi peſant, que l’amour de deux perſonnes bien vniz ne puiſſe doucemẽt ſupporter. Mais quand l’vn fault à ſon debuoir, & laiſſe toute la charge ſur l’autre, la peſanteur eſt importable. Vous deuez donc, diſt Guebron, auoir pitié de nous, qui portons toute l’amour, ſans que vous y daigniez mettre le bout du doigt, pour la ſoulager. Ha Guebron ! diſt Parlamente, ſouuent ſont differens les fardeaux de l’homme & de la femme. Car l’amour de la femme bien fondée & appuyée ſur Dieu & ſon honneur, eſt ſi iuſte & raiſonnable, que celuy qui ſe depart de telle amitié, doit eſtre eſtimé laſche & meſchãt enuers Dieu & les hommes de bien. Mais l’amour de la pluſpart des hommes eſt tant fondée ſur le plaiſir, que les femmes ignorantes, pour ſeruir à leur mauuaiſe volonté, s’y mettent aucunes fois bien auãt : & quand Dieu leur faict cognoiſtre la malice du cueur de celuy qu’elles eſtimoient bon, elles s’en peuuẽt departir auec leur honneur & bonne reputation. Car les plus couuertes follies, ſont touſiours les meilleures. Voila donc vne raiſon (diſt Hircan) forgée ſur vne fantaſie de vouloir ſouſtenir que les femmes honeſtes peuuent laiſſer honeſtement l’amour des hõmes, & non les hommes celles des femmes, cõme ſi leur cueur eſtoit different : mais combien que les viſages & habits le ſoient, ſi croy ie que les volontez ſont toutes pareilles, ſinon d’autant que la malice plus couuerte eſt la pire. Parlamente auec vn peu de colere luy diſt : I’entends bien que vous eſtimez celles les moins mauuaiſes, de qui la malice eſt deſcouuerte. Or laiſſons ce propos lá, diſt Simontault, car pour faire concluſion du cueur de l’homme & de la femme, le meilleur des deux n’en vault rien : mais venons à ſçauoir à qui Parlamente donnera ſa voix pour ouyr quelque bon compte. Ie la donne (diſt elle) à Guebron. Or puis que i’ay commencé, diſt il, à parler des cordeliers, ie ne veux oublier ceux de Sainct Benoiſt, & ce qui eſt aduenu d’eux de mon

temps :