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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

me vous avez ouy, ſ’enfuit en Allemaigne ou il auoit beaucoup d’amis & monſtra bien par ſa legereté, que vraye & parfaicte amour ne luy auoient pas tant fait pourchaſſer Rolandine, que l’auarice & ambition : en ſorte qu’il deuint tant amoureux d’vne dame d’Allemaigne, qu’il oublia à viſiter par lettres celle qui pour luy ſouſtenoit tant de tribulations. Car iamais la fortune, quelque rigueur qu’elle leur tint, ne leur peut oſter le moyen de ſ’eſcripre l’vn à l’autre, mais la folle & meſchante amour ou il ſe laiſſa tomber, dont le cueur de Rolandine eut premier vn ſentiment tel, qu’elle ne pouuoit plus repoſer. Puis voyant ſes eſcriptures tant changées & refroidies du langage accouſtumé, qu’elles ne reſſembloient en rien aux paſſées, ſoupçonna que nouuelle amitié la ſeparoit de ſon mary, & le rendoit ainſi eſtrange d’elle, ce que toutes les peines & tourments, qu’on luy auoit peu donner, n’auoient ſceu faire. Et parce que ſa parfaicte amour ne vouloit qu’elle aſsiſt iugement ſur vn ſoupçon, trouua moyen d’enuoyer ſecrettement vn ſeruiteur en qui elle ſe fioit, non pour luy eſcripre & parler à luy, mais pour l’eſpier & veoir la verité. Lequel retourné du voyage, luy diſt, que pour le ſeur il auoit trouué le baſtard bien fort amoureux d’vne dame d’Allemaigne, & que le bruit eſtoit qu’il pourchaſſoit à l’eſpouſer, car elle eſtoit fort riche. Ceſte nouuelle apporta ſi extreme douleur au cueur de ceſte pauure Rolandine, que, ne la pouuant porter, tomba griefuement malade. Ceux qui entendoient l’occaſion, luy dirent de la part de ſon pere, que puis qu’elle voyoit la grande meſchanceté du baſtard, iuſtement elle le pouuoit abandonner : & la perſuaderent de tout leur poſsible. Mais nonobſtant qu’elle fut tourmẽtée iuſques au bout, ſi n’y eut il iamais remede de luy faire chãger ſon propos, & monſtra en ceſte derniere tentation l’amour qu’elle auoit à ſa treſgrande vertu. Car ainſi que l’amour ſe diminuoit du coſté de luy, ainſi augmentoit du ſien, & demeura malgré qu’il en euſt l’amour entier & parfaict. Car l’amour qui defailloit du coſté de luy, tourna en elle : & quand elle cogneut qu’en elle eſtoit l’amour entiere, qui autresfois auoit eſté departy en deux, elle delibera de la conſeruer iuſques à la mort de l’vn ou de l’autre. Parquoy la bonté diuine, qui eſt parfaicte charité & vraye amour, eut pitié de ſa douleur, & regarda ſa patience, en

ſorte