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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſtard le creut, & feit ſi bonne diligẽce, que le capitaine des gardes ne le trouua point. Le Roy & la Royne regarderẽt enſemble qu’ils feroient de ceſte pauure damoiſelle, qui auoit l’honneur d’eſtre leur parente, & par le conſeil de la Royne fut conclud, qu’elle ſeroit renuoyée à ſon pere, auquel on manda toute la verité du faict. Mais auant que l’enuoyer, furent parler à elle pluſieurs gens d’Egliſe & de conſeil, luy remonſtrans que puis qu’il n’y auoit en ſon mariage que la parolle, qu’il ſe pouuoit facilement deffaire, moyennant que l’vn & l’autre ſe quittaſſent. Ce que le Roy vouloit qu’elle feiſt, pour garder l’honneur de la maiſon dont elle eſtoit. Mais elle leur feiſt reſponſe qu’en toutes choſes elle eſtoit preſte d’obeir au Roy, ſinon à contreuenir à ſa cõſcience, diſant que ce que Dieu auoit aſſemblé, ne pouuoit eſtre ſeparé par les hommes, les priant de ne la tenter de choſe ſi deſraiſonnable : Car ſi amour & bonne volonté, fondée ſur la crainte de Dieu, eſt le vray & ſeur lien de mariage, elle eſtoit ſi bien liée, que fer, ne feu, ne eau, ne pouuoient rompre ſon lien, ſinon la mort, à laquelle ſeule & non à autre, eſtoit deliberée rendre ſon anneau & ſon ſerment, les priant de ne luy parler plus du cõtraire. Car elle eſtoit ſi ferme en ſon propos, qu’elle aimoit mieux mourir en gardant ſa foy, que viure apres l’auoir niée. Les deputez de par le Roy, emporterent ceſte conſtante reſponſe : & quand ils veirent qu’il n’y auoit remede de luy faire renoncer ſon mary, la menerent deuers ſon pere en ſi piteuſe façon, que par ou elle paſſoit chacun ploroit. Et combien qu’elle euſt failly, la punition fut ſi grande & ſa cõſtance telle, qu’elle feiſt eſtimer ſa faulte eſtre vertu. Le pere ſçachant ceſte piteuſe nouuelle, ne la voulut point veoir, mais l’enuoya en vn chaſteau dedans vne foreſt, lequel il auoit autreſfois edifié pour vne occaſion digne d’eſtre racomptée apres ceſte nouuelle, & la teint là longuement en priſon, luy faiſant dire, que ſi elle vouloit quitter ſon mary, il la tiendroit pour ſa fille, & la mettroit en liberté. Et toutesfois elle teint ferme, & aima mieux le lien de ſa priſon en conſeruant celuy de ſon mariage, que toute la liberté du monde ſans ſon mary : & ſembloit aduis à ſon viſage, que toutes ſes peines luy eſtoient paſſetemps treſplaiſant, puis qu’elle les ſouffroit pour celuy qu’elle aimoit. Que diray-ie des hommes ? Ce baſtard tant obligé à elle com-