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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

tendez bien, & me laiſſez viure en paix, que i’eſpere trouuer auec luy. La Royne voyant ſon viſage ſi conſtant, & ſa parolle tant veritable, ne luy peut reſpondre par raiſon : & en continuant de la reprendre & iniurier par colere, ſe print à pleurer, en diſant : Malheureuſe que vous eſtes, en lieu de vous humilier deuant moy, & vous repentir d’vne faulte ſi grande, vous parlez audacieuſement ſans en auoir la larme à l’œil : par cela monſtrez bien l’obſtination & la dureté de voſtre cueur. Mais ſi le Roy & voſtre pere me veulent croire, ils vous mettront en lieu ou ſerez contraincte de parler autre langage. Ma dame, reſpõdit Rolandine, pource que vous m’accuſez de parler trop audacieuſement, ie ſuis deliberée me taire, ſ’il vous plaiſt de ne me donner congé de parler, & de vous reſpondre : & quand elle eut commandement de parler, luy diſt : Ce n’eſtoit point à moy, ma dame, de parler à vous (qui eſtes ma maiſtreſſe & la plus grande Princeſſe de Chreſtienté) audacieuſement, & ſans la reuerẽce que ie vous doibs, ce que ie n’ay voulu ne penſé faire : mais puis que ie n’ay eu aduocat qui parlaſt pour moy, ſinon la verité, laquelle moy ſeule ſçay, ie ſuis tenuë de la declarer ſans craincte, eſperant que ſi elle eſt bien cogneuë de vous, vous ne m’eſtimerez telle qu’il vous a pleu me nommer. Ie ne crains que creature mortelle, entendant comme ie me ſuis conduicte en l’affaire dont lon me charge, me donne blaſme, puis que ie ſsçay que Dieu & mon honneur n’y ſont en rien offenſez. Et voila qui me fait parler ſans crainte, eſtant aſſeurée que celuy qui veoit mon cueur eſt auec moy : & ſi vn tel iuge eſt auec moy, i’aurois tort de craindre ceux qui ſont ſubiects à ſon iugemẽt. Et pourquoy donc, ma dame, dois ie pleurer, veu que ma cõſcience & mon honneur ne me reprennent point en ceſt affaire ? & que ie ſuis ſi loing de me repentir, que ſ’il eſtoit à recommencer ie n’en ferois que ce que i’en ay faict ? Mais vous, ma dame, auez grande occaſion de pleurer tant pour le grand tort qu’en toute ma ieuneſſe m’auez tenu, que pour celuy que maintenant vous me faictes de me reprendre deuant tout le monde d’vne faulte, qui doit eſtre imputée plus à vous qu’à moy. Quand i’aurois offensé Dieu, le Roy, vous, mes parens, & ma conſcience, ie ſerois bien obſtinée ſi de grande repentence ie ne pleurois. Mais d’vne choſe bonne, & iuſte, & ſaincte, dont