Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
83
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Royne, ou il veſcut heureux & content. La Royne, apres auoir cogneu la verité du mariage par la lettre du baſtard, enuoya querir Rolandine, & auecques vn viſage fort courroucé, l’appella pluſieurs fois malheureuſe au lieu de couſine, luy remonſtrant la honte qu’elle auoit faicte à la maiſon de ſon pere, & de tous ſes parens, de s’eſtre mariée, & à elle qui eſtoit ſa maiſtreſſe, ſans ſon commandement ne congé. Rolandine, qui de long tẽps cognoiſſoit le peu d’affection que luy portoit ſa maiſtreſſe, luy rendit la pareille, & pource que l’amour luy defailloit, la crainte n’auoit plus de lieu : penſant auſsi que ceſte correction deuant pluſieurs perſonnes ne procedoit pas d’amour qu’elle luy portaſt, mais pour luy faire vne honte, comme celle qu’elle eſtimoit prendre plus de plaiſir à la chaſtier, que de deſplaiſir à la veoir faillir, luy reſpondit d’vn viſage auſſi ioyeux & aſſeuré, que la Royne monſtroit le ſien troublé & courroucé : Ma dame, ſi vous ne cognoiſſiez voſtre cueur tel qu’il eſt, ie vous mettrois au deuant la mauuaiſe volonté que de long temps auez portée à mõſieur mon pere & à moy : mais vous le ſçauez ſi bien, que vous ne trouuerez point eſtrange ſi tout le monde s’en doubte : & quant eſt de moy, ma dame, ie m’en ſuis apperceuë à mon plus grand dommage. Car quand il vous euſt pleu me fauoriſer, comme celles qui ne vous font ſi proches que moy, ie fuſſe maintenant mariée, autant à voſtre honneur qu’au mien : mais vous m’auez laiſſée comme vne perſonne oubliée du tout en voſtre bõne grace, en ſorte que tous les bons partiz que i’euſſe peu auoir, me ſont paſſez deuant les yeux par la negligence de monſieur mon pere, & par le peu d’eſtime qu’auez faict de moy : dont i’eſtois tombée en tel deſeſpoir, que ſi ma ſanté euſt peu porter l’eſtat de religiõ, ie l’euſſe volontiers prins, pour ne veoir les ennuiz cõtinuels que voſtre rigueur me donnoit. En ce deſeſpoir m’eſt venu trouuer celuy qui ſeroit d’auſsi bonne maiſon que moy, ſi l’amour de deux perſonnes eſtoient autant eſtimées que l’anneau. Car vous ſçauez que ſon pere paſſeroit deuant le mien. Il m’a longuement aimée & entretenuē, mais vous, ma dame (qui iamais ne me pardõnaſtes vne ſeule petite faulte, ne me loüaſtes de nul bon œuure) combien que cognoiſsiez par experience, que ie n’ay point accouſtumé de parler de propos d’amour ne de monda-